J'ai terminé samedi soir ma 29ème et dernière session d'une campagne consacrée à la guerre de Troie, avec Fantasy AGE et en addition le supplément Trojan War.
La campagne poursuivait deux buts:
- aller dans le détail de la vie d'Achille
- réécrire l'Iliade à notre sauce
Je ne vais pas faire de CR, ça ne m'intéresse pas d'en écrire.
Par contre, je partage ici mes réflexions sur le système de jeu.
- La création de personnage me laisse toujours un avis mitigé. Ce n'est pas la première fois que j'utilise AGE et à chaque fois, cette création semi-guidée me gène. Ici, le système propose de piocher parmi certaines options prédéfinies pour rapidement brosser la jeunesse du PJ. Malheureusement, ces options vont avec certaines idées préconçues qui, si elles sont idéales si vous vous les suivre, ne couvrent pas toutes les idées que les joueurs ont. Par expérience, les joueurs veulent souvent (voire tout le temps) jouer "hors norme". Du coup, AGE manque de souplesse
- Trojan War par contre offre au moins de quoi "coller au mythe" avec l'option, utilisée pour Achille, de Divine Offspring. Soyons clairs, cela produit des bourrins. C'est bien, les héros grecs, et surtout Achille, sont des bourrins.
- Les spécialisations proposées par Trojan War sont étrangement imaginées. On trouve des cas culturellement très spécifiques (une spécialisation d'Amazone) et certaines spécialisations qui viennent avec un point de vue que je ne partageais pas. Fatalement, puisque c'est Trojan War, ce sont celles en relation avec les dieux (Dedicated Warrior, Priest et Pharmakeus).
Leur problème, pour moi, c'est qu'elles se construisent mécaniquement autour d'une relation exclusive avec une divinité. J'ai ressenti comme un placage de clichés de fantasy ordinaire sur le monde mythique grec, un côté "Les Forgotten Realms en vacances à Troie".
La relation exclusive me gène déjà à la base mais, surtout, et c'est un comble, vient quasiment contredire l'ambivalence de l'action divine dans l'Iliade, où les dieux vont plus ou moins s'aligner sur un camp mais aussi protéger des individus, à leur guise. Or, ces spécialisations étant construites sur une relation exclusive et, qui plus est, sur des bénéfices de spécialisations, il y a fatalement un côté "mon dieu sera toujours à mes côtés".
- Je déplore le fait que pour Dedicated Warrior, il soit indiqué que chaque dieu a "son arme préférée". Les héros achéens et troyens se battent à la lance et au xiphos, peu importe s'ils dédient leur victoire à Poséidon (où selon les règles ça devrait être... le trident) ou Apollon (l'arc court).
- La spécialisation de Priest a aussi son lot de sortilèges selon le dieu fétiche du PJ. Ici, c'est un peu mieux et on évite l'exclusivité sur certains sorts mais la construction reste encore trop empruntée à un réflexe de fantasy (ou chaque divinité vient avec ses petits sorts perso).
Le Prêtre a toutefois une capacité notable, celle d'appeler une Divinité à se manifester. Il y a un exemple assez connu dans l'Iliade lorsque Chrysès est menacé par Agamemnon et que Apollon est outré du traitement infligé au prêtre et va provoquer une peste dans le camp achéen. La spécialisation suggère ce type de conséquence, le niveau (au sens AGE) du prêtre servant à établir la puissance de la manifestation. On peut ainsi se permettre de molester un petit prêtre sans envergure mais méfiez vous de ceux qui ont la faveur des Dieux. Si l'usage de cette capacité à manifester la volonté divine est une bonne idée, le MJ va devoir préparer sa louche pour savoir comment l'exécuter en jeu.
- La spécialisation de Pharmakeus, malgré son nom suggérant qu'on va vous vendre des gelules contre les brûlures d'estomac et de l'homéopathie, est une classe de magicien, lorgnant vers les oracles, devins et sorciers et qui s'appuie aussi sur des amulettes, potions, etc...
- Charioteer est une spécialisation très spécifique et, même si elle a du sens vis à vis du combat homérique, elle ne correspond ni à la réalité historique du combat avec char ni aux descriptions de l'usage du char dans l'Iliade. Si vous voulez une spécialisation de conducteur de char de guerre façon film à grand spectacle, c'est pour vous. Cela va laisser Patrocle perplexe mais ça peut être satisfaisant dans votre partie.
- Amazon remplit la case de la spécialisation de "guerrier rapide" avec la curiosité d'avoir aussi un bonus lors de combat à cheval (à Troie, vraiment?), cette spécialisation n'a rien de particulier aux amazones qui n'avaient de toutes façons pas réellement besoin d'en avoir une.
- Demigod est la spécialisation la plus audacieuse. Elle vient avec l'idée que le PJ se construit en relation avec les divinités et pour imposer sa volonté au monde divin. Si vous avez un PJ timide avec peu d'ambition, ce n'est pas la bonne spécialisation, même si le perso est un demi-dieu (auquel cas, utiliser Divine Offspring est suffisant). C'est une spécialisation qui permet de "briser les lois naturelles" au niveau Expert à travers des "travaux". Ces travaux (au sens herculéen) reçoivent quelques exemples de difficulté comme "entrer dans Hadès et en revenir" ou bien "voler les secrets d'un Dieu". Je ne m'en suis pas servi pour notre campagne car aucun perso n'était dans ce cas.
- Cette spécialisation et plus largement tous les héros sont aussi liés aux dieux à travers un score de Divine Bond. C'est une bonne idée mais cela demande de savoir où on met les pieds, côté MJ. Les Divine Bonds ouvrent ainsi à l'usage d'une nouvelle catégorie de Stunts, propre à Trojan War: les Divine Stunts. Ils dépendent beaucoup du style de jeu, lorgnant du côté des Stunts de Roleplay pour leur impact en jeu. Divine Omen, par exemple, coûte 2SP et permet d'obtenir "un indice cryptique". Cela peut changer la direction d'une campagne ou ne jamais servir à rien.
- Vous pouvez coupler les Divine Bonds avec la règle optionnelle de Piety. Ce qui va vous amener à sortir un carnet pour noter ce qui se passe... L'idée est bonne et consiste à lier certains actes à une manifestation de piété qui, à son tour, va influer sur votre score de Divine Bond. Sauf que cela implique de pister le score de Piété auprès des dieux, individuellement, et aussi au sens collectif puisqu'il y a la relation à l'Olympe dans sa globalité.
Ensuite cette règle est sympa si vous comptez jouer les aspects culturels et que vous ne les évacuez pas parce qu'ils sont implicites et joués "en off". Jouer au plus fin et subtilement insulter son hôte pourrait déplaire aux dieux, même si vous vous croyez plus malin que, tout le monde. Faut il encore jouer la soirée où vous arrivez chez le roi Lycomède. Donc bien que le principe soit utilisable, la pratique du jeu fait que ça risque de tomber dans l'oubli. Et il faut aussi saisir les occasions de faire évoluer la Piété. Dans le feu de l'action, on oublie facilement. Et c'est exactement ce qui s'est passé pour moi. Guetter les moments où, potentiellement, la Piété pourrait évoluer m'est vite sorti de la tête.
- La magie est abordée à travers trois nouveaux Arcana (Charm, Cursing, Poison) et une sélection des Arcanas qui sont thématiques (Beast, Divination, Fate, Heroic, Power) ou pas (Cold, Psychic, Shadow). Les autres tombant dans "Neutres vis à vis du thème". Tout est discutable mais je pense, personnellement, que j'aurai autorisé les Arcanas thématiques seulement. Mais la question ne s'est pas posée, il n'y avait aucun mage dans la campagne. À part Calchas mais c'était un PNJ.
- Dans une campagne qui démarra avec la jeunesse d'Achille et se termine 20 ans plus tard sous les murs de Troie, nous avons joué dans un contexte où les créatures merveilleuses étaient parfois le sujet du jeu. Malheureusement, AGE souffre d'un déficit chronique de ce côté là. Assez étrangement, malgré des monstres proposés dans le Bestiary, il manque les "briques de base". Ici, je n'avais pas besoin des stats d'un vampire ou d'un troll mais d'un "bon guerrier" ou d'un "sanglier géant". De ce côté, et je l'avais déjà remarqué avant, je trouve que AGE est un peu faiblard.
Par contre, le point positif des monstres de AGE, lorsque vous vous en servez en combat, c'est que leurs capacités spéciales sont souvent déclenchées par des Stunts uniques. Cela colore pas mal les bastons (par opposition à un usage systématique ou bien un "1 fois/3 rounds")
- Les bastons ont été jouées sans grille ni battlemap. C'est aussi dû à la nature de la plupart de ces bastons: des duels entre héros.
Il ressort qu'un des Stunt de combat basiques (Skirmish) ne sert soit à rien soit dépend de la louche que tient le MJ. Plus généralement, avec les bastons qui se succèdent (c'est la guerre de Troie, hein), un groupe restreint de Stunts s'est naturellement dégagé (Lightning Attack, Pierce Armor, Mighty Blow, Lethal Blow).
C'est accentué par le fait que les acteurs de ces bastons sont "des héros". Ce sont Achille, Hector, le grand Ajax, Énée, Diomède... tous ces gens sont très doués. Dans le système AGE, cela se traduit par une conséquence infortunée: la défense ne sert plus à rien car ils sont tous tellement bons que tous leurs coups font mouche. Avoir une défense de 12-14 sert peu lorsque l'ennemi lance 3d6+7.
Il résulte que les points de vie fondent à chaque round, dans une spirale vers 0 où l'on cherche à faire descendre l'autre plus vite que soi. Ce qui explique, à mon avis, la domination des Stunts de Combat améliorant les dommages (ou lançant une autre attaque).
Ensuite, les Stunts sont de fait déterminant. Bien que la base de dommage soit importante, c'est la régularité avec laquelle on va lancer des Stunts dans les gencives de l'autre qui fait qu'on va l'emporter ou pas.
Les joueurs disposent toutefois d'un avantage avec la possibilité de faire des Surge et d'en appeler au Destin (des points de Stunts, à disposition dans un pool commun, utilisables seuls ou en compléments de SP normaux, dès lors qu'on a réussi son test, pas nécessairement de combat d'ailleurs).
Bien que les règles de AGE ne l'autorisent pas, j'ai finalement laissé des Stunts être générés sur les attaques supplémentaires. Je voulais justement abandonner ce côté "on te laisse attaquer une fois de plus mais pas trop fort" qui est éventuellement justifié dans un style de jeu classique mais là, je voulais que ça saigne. Au final, pour avoir aussi joué selon la règle, je trouve que ça accélère les combats de manière satisfaisante et ça créé des enchaînements brutaux/épiques/stylés (selon votre choix de vocabulaire).
- Ceci renvoie aussi à l'équipement. Au siège de Troie, tous les héros sont à peu près équipés pareils. Trojan War propose quelques objets magiques/mythiques (dont par exemple les deux armures d'Achille). Trojan War propose aussi de localiser les coups portés avec une armure différenciée selon la partie du corps. Et donc, la possibilité de viser telle ou telle partie. Sauf que cela induit aisément un style de combat où il est considérablement plus rentable de ne viser que les parties non protégées de l'autre. Les protections de bronze standards des héros offrant 8 de Protection dans Trojan War, comme la Light Plate de Fantasy AGE, imaginez donc une baston où tout le monde est en plate armor. Les autres types d'armure sont utilisables dans un contexte plus large mais à la guerre de Troie, les héros sont en bronze. Avec en plus un bouclier, si la règle de coups visés est appliquée (elle le fut au début du siège de Troie), les joueurs peuvent très bien à toujours viser le bras droit, tous les rounds. Et comme ils frappent tous comme des bourrins, ils touchent facilement.
J'ai donc abandonné la règle pour viser les endroits du corps mais gardé la localisation des coups, à la fois pour la description et parce que tous les endroits n'ont pas la même protection.
Commentaire: Penthésilée et ses amazones, par exemple, furent protégées par de l'armure légère et non du bronze... Achille les a passé au hachoir...
- Il y a dans le Fantasy AGE Companion des règles de Mass Battle. Je m'en suis servi pour régler les combats dans la plaine de Troie. Elles sont assez sommaires, laissent un peu de liberté d'interprétation au MJ et s'axent autour de deux focus (Military Lore et Leadership) tout en laissant la possibilité de jouer des scènes "classiques" lors de "Crisis Points" afin de faire basculer la bataille. C'est pas extraordinaire mais c'est suffisant.
Les mêlées de la bataille n'ont pas été jouées, nous ne nous intéressions que à son issue, déterminée par les jets de Mass Battle
- pour clarifier, chaque bataille avait un duel en préliminaire contre un héros ennemi (comme dans l'Iliade)... parfois un autre durant les phases de Mass Battle lors de Crisis mais je n'ai jamais joué la mêlée contre X ennemis dans une phalange
- Très peu de progression, Achille, le héros de cette campagne, a commencé niveau 5 et terminé niveau 7. Le passage de niveau, j'en avais déjà eu l'expérience avec Fantasy AGE, peut se faire pendant le jeu. Le seul point de ralentissement est le choix, éventuel, d'augmenter/acquérir un nouveau talent mais c'est un problème côté joueur (mais si, vous savez, celui qui ne s'intéresse pas aux règles mais demande qu'on lui déballe tout le catalogue pour qu'il puisse choisir et termine incapable de faire un choix si vous ne lui expliquez pas tout, possibilité après possibilité)
- Pas de loot. Même si Achille a accumulé les trophées de ses ennemis vaincus, c'était pour le prestige. Pas d'objets magiques non plus. Le seul réel objet magique prévu pour arriver en jeu était la seconde armure d'Achille (celle confiée par Thétys après la mort de Patrocle, dans l'Iliade) mais cet évènement ne s'est pas produit.
Au final, la combo Fantasy AGE + Trojan War marche bien. Cela marche probablement même
mieux si vous ne restez pas collés au siège de Troie mais pour jouer "à l'ère de la guerre de Troie" et dans un style plus ouvert. Mieux parce que plus d'options seraient utilisables, le contexte du siège de Troie contraint pas mal de choses.
Les Stunts se produisent quand même raisonnablement souvent et dynamisent le jeu. Pour une autre campagne, j'ai eu l'audace de créer ma propre table de Stunts afin d'offrir des options très thématiques sans trop savoir où je mettais les pieds. Trojan War avec ses Divine Stunts, The Expanse avec ses multiples tables de Stunts très focalisées montrent que c'est non seulement possible sans démolir le système mais c'est même assez chouette.
Au cas particulier, Trojan War offre même une pirouette mécanique intéressante: les Divine Bonds permettent d'utiliser la table de Divine Stunts, certes. Mais le
lien n'implique pas que la Divinité soutient le personnage, juste l'intérêt pour le mortel. En fait, la relation peut être
défavorable. Auquel cas, le joueur ne peut pas dépenser de SP sur la table de Divine Stunts mais le MJ peut le faire sur la table de
Divine Wrath en dépensant des points de Bond. Ce qui donne un outil très puissant au MJ pour provoquer des évènements. Certes, la Divinité peut foudroyer le personnage mais il y a sans doute plus subtil et horriblement pervers comme manipuler ses perceptions, le rendre dingue ou juste ériger des obstacles au mauvais moment. Les dieux grecs sont impitoyables, de toutes façons...
Les combats furent dominés par les Stunts de Combat mais c'est à la fois à cause de leur brutalité (propre à ces héros là) et parce qu'il n'y avait de toutes façons pas grande raison de choisir autre chose. Alors que hors combat, j'ai vu plus de panachage dans les tables de Stunts utilisées.
Pour mener cette campagne, j'ai investi du temps dans la recherche documentaire. Cerner les héros, leurs relations, qui vient de où... J'ai essentiellement basé ma préparation sur l'
Iliade d'Homère mais aussi sur les textes romains ultérieurs comme l'
Énéide de Virgile ou les
Métamorphoses d'Ovide, la comédie-ballet appelée
Les noces de Pélée (merci les archives numériques de la BNF).
Il y a beaucoup de sources sur internet, il n'est pas nécessaire de se farcir les classiques (mais c'est une bonne excuse).
J'ai aussi superficiellement utilisé dans la collection Osprey les bouquins FOR017 (
Troy c 1700 - 1250BC) pour une vue d'ensemble de Troie, WAR153 (
Bronze Age Greek Warrior 1600-1100 BC) pour avoir une meilleure idée de la guerre à l'ère du Bronze et enfin WAR120 (
Hittite Warrior) qui m'a servi de base pour imaginer les alliés de la Troade.