Le passager
Bon vent!
Les quatre aventuriers avaient pensé au même lieu, le pont de la Cola, bien ancrée à Baak’Ayin. C’est donc là qu’ils rouvrent les yeux. Ils devraient tous être si heureux d’avoir réussi la mission qu’ils s’était donnée, pourtant Oki semble triste: la gorge nouée, il s’adresse à ses amis:
« Je crains que nos route ne doivent se séparer ici, Katoylla m’a indiqué une autre route que la vôtre par sa lumière, c’est dans mes montagnes que je dois retourner. Je dois aider les miens et rester un chasseur, je ne veux pas devenir un guerrier. J’aurai tant aimé rester à vos côtés et surmonter avec vous nombres de périls mais ce n’est plus mon chemin à présent. Je vous souhaite bonne fortune et surtout bon vent mes camarades d’aventures et de galère! Nous nous reverrons, j’en suis certain, dans ce monde ou dans un autre, nous nous retrouverons, c’est écrit! »
Chacun à sa façon lui exprime sa tristesse, mais au fond chacun est heureux qu’il trouve sa voix.
Le petit Kuraq s’éloigne du bateau les yeux embués de larmes. Kofi annonce à l’équipage qu’ils vont quitter le port et voguer vers l’Ifri. Tous s’activent.
Quelques heures plus tard un matelot se présente au capitaine en courant. Il à l’air particulièrement nerveux:
« Capitaine, capitaine! On a un passager clandestin à bord...
- Amenez-le moi! Répond Kofi
- Euh, justement, comment vous dire, on espérait plutôt que vous et vos...
- C’est bon, j’ai compris, j’y vais.
- Elle est dans la cale arrière, répond le marin dans un profond soupir de soulagement»
En effet, au fond de la cale, bien droite, le torse bombé et la main sur son sabre se tient une femme bien connue de nos amis:
« Elizbietha Leslaw! S’exclame Kofi. Je ne me souviens pas que vous vous soyez acquitté de votre droit de voyage au guichet. Auriez vous des soucis de trésorerie?
- Je pensais plutôt que mon agréable compagnie vous suffirai. Et plus sérieusement, je pense que nos intérêts convergent fortement.
- Qu’est-ce qui nous prouvent que ce n’est pas encore un coup tordu de votre ami Andonius? Intervient Almenara, suspicieuse.
- Andonius m’a trahie, vous l’avez vue. Il n’a pas hésité une seconde à m’abandonner à une mort certaine. Pour lui la fin justifie toujours les moyens, rester son allié me conduirait tout droit en enfer. Il pourrait détruire les plus magnifiques trésors pour ses rêves de pouvoir, c’est inacceptable! Je vous ai observés, vous avez de belles valeurs et même si je suis loin de pouvoir en prétendre autant, je sais que m’en inspirer m’aiderait grandement à accomplir mon but.
- Votre but?
- Je suis certainement la plus grande exploratrice que porte ce monde et je veux qu’il le sache.
- Mais qu’aurions-nous à y gagner? s’inquiète Alceste
- Déjà je suis l’une des meilleures combattantes que vous n’ayez jamais croisée, j’ai de grandes connaissances par ailleurs. Vous comptez vous rendre en Ifri, c’est une terre dangereuse, peuplée de créatures monstrueuses. Il se trouve justement que je n’ai pas mon pareil pour chasser les monstres. Enfin et surtout vous partez à la poursuite d’Andonius, je veux le retrouver aussi, et justement je le connais très bien. Vous avez besoin de moi comme j’ai besoin de vous! Soyons alliés.»
Bien qu’encore méfiants, les arguments d’Elizbitha sont très convaincants. Nos amis acceptent donc un nouveau compagnon. Ils garderont un œil sur elle tout de même.
Le lendemain un attroupement se forme sur le pont. Un des marins, Opi, demande un vote pour renoncer au départ. Il prétend que l’un de ses anciens lui a envoyé une vision par coqui pour le dissuader de partir. Pour un Rahuri c’est le plus sérieux des sujets et nombreux membres de l’équipage savent qu’il ne faut pas négliger un tel présage, d’autant que d’autres marins ont vus récemment des lumières vertes sur le pont ce qui confirme qu’Opi n’affabule pas.
Les discussions vont bon train et sont houleuses, débordantes parfois. Almenara et Elizbietha sont même accusées d’avoir volé des marchandises dans la cale, heureusement pour elles d’autres matelots les défendent et les disculpent. Le plus surprenant c’est qu’Alena, l’autre Rahuri de l’équipage ne se range pas du côté d’Opi. Jean l’Ecureuil est accusé de traîtrise, il aurait été vu sortant de chez Cuellen. Ceci lui vaudra une entrevue avec le capitaine, Kofi le sent très inquiet, nerveux même, mais il le trouve sincère et loyal. Bien que méfiant il continuera à lui faire confiance.
Enfin le vote va avoir lieu. La prestance de Kofi et les discours enflammé d’Alceste font que les votes basculent largement en faveur du départ. Il n’y a pratiquement qu’Opi qui ne continuera pas l’aventure sur la Cola.
L’océan et ses petites péripéties
Le voyage débute plutôt bien, mais après quelques jours en mer tout le monde se demande s’il n’y aurai pas un saboteur à bord. Des cartes sont abîmées et le sextant a disparu. D’autre part plusieurs marins rapportent avoir vu des lumières vertes, il pourrait s’agir d’un O’pa: une sorte de version morte de soi-même, qui est dépourvu de nombril et se nourrit de goyave. Très mauvais présage! Tout le monde commence à être tendu par la situation et nos aventuriers se montrent particulièrement vigilants. Alceste empêche un nouveau vol d’avoir lieu mais ne parvient pas à rattraper le voleur pour le confondre... Néanmoins la science d’Almenara et l’expérience de Kofi en la matière permettent de garder un bon cap.
Malheureusement pour notre beau capitaine, il n’est pas le seul pirate de cet océan.
Alors qu’ils se rapprochaient des côtes Ifriennes, une mâtiné d’intense brouillard, un feu embrase la grand voile. Tout le monde s’active pour l’éteindre quand trois gigantesque colonnes d’eau se dressent face à la Cola. Du haut de la vigie Almenara crie « Trois navires en vue: des drakkars Vestens!»
Juste après avoir prévenu ses camarades, elle tend son médaillon et se concentre sur les colonnes, y mettant toute sa ferveur. Elle parvient à en prendre le contrôle laissant le Skalde sur le drakkar de tête fébrile et en nage. Grâce à ses colonnes d’eau elle va grandement aider ses amis à maîtriser l’incendie et harcèlera les trois drakkars.
Tandis qu’Elizbietha essaye tant bien que mal de se rendre utile sur le pont, Alceste, qui descendait aider les canonniers, empêche Jean l’écureuil de jeter l’ancre. Ce n’était vraiment pas le moment de faire ça. D’autant que Kofi dirige son bâteau divinement, évitant les tentatives harponnage vestennes, les gardant à bonne distance puis virant brusquement de bord pour permettre à son équipage des tir de canon dévastateur. Il n’hésite pas à prendre tous les risques, fonçant droit sur ses adversaires puis virant à l’ultime seconde pour les frôler et sectionner net leurs rames. A un contre trois la Cola domine largement le combat.
Profitant de l’agitation sur le navire, Alena (la matelot Rahuri), qui était restée plutôt à l’écart des autres depuis le début du voyage, tend une embuscade à Jean l’Ecureuil, se jettant sur lui et l’enfilant dans un sac. Mais alors qu’elle allait le jeter par dessus bord elle tombe en arrière. Une vague colossale vient de secouer la Cola. L’instant d’après un aileron gigantesque découpe en deux l’un des drakkars déterminant définitivement les deux autres à fuir. C’est El Tiburon, sorte de squale titanesque (là j’ai plus de superlatif) et dieux des monstres marins qui se dresse devant la petite embarcation Jaraguaïenne. D’une voix colérique, puissante et caverneuse il ordonne «Donnez-moi l’O’pa ou je vous coulerai en m’en emparant!»
Elizbietha fait le lien entre les ragots entendu durant le voyage et ses connaissances: les lumières vertes, Jean l’Ecureuil couvert de goyave, la légende Rahuri, le lien! Elle crie «Jean on va jeter ton coffre par dessus bord». Elle n’a pas même le temps de finir sa phrase que l’O’pa prend possession de Jean et passe à travers le sol du pont mais Alceste est rapide il ouvre le coffre avant que l’O’pa n’est traversé entièrement. A l’intérieur, il ne trouve qu’un seul objet un tant soi peu original pour un marin, un magnifique ruban de soie brodé des initiales F.C., il le jette à Kofi. Celui-ci ceinture l’O’pa avec. Une lutte pour le contrôle s’amorce entre l’esprit et Jean l’Ecureuil. Il est contraint d’avouer:
« A Baak’Ayin, quand on attendait votre retour, si j’ai été chez les Cuellen, ce n’était pas... Aaahhh! Aide-moi. Le marin lutte contre l’O’pa, ses yeux se révulsent, il a des spasmes. Kofi, tu sais... j’ai rencontré ce garçon... Jean gémit et se débat mais parvient à continuer. Fillip, Fillip, on s’est aimé et avant le départ on s’est marié en secret... Aaaahh, Gnnnh... Je... ne voulais pas en parler, je te suis trop loyal Kofi... Je ne pourrait jamais t’abandonner... Aaahh, ... Je ne trahirai jamais... il s’appelle Fillip Cuellen et je l’aime mais je dois te suivre j’en avais déjà fait le serment avant... Gnnh, aaah...
- Jean, tu es le meilleur marin que je connaisse et de loin le plus fidèle compagnon qu’un capitaine ne puisse avoir! Mais moi, est-ce que je serai un bon capitaine et un ami fidèle si je t’empêchai de vivre ton amour? Je ne mériterai aucun des marins sur ce bateau si j’étais un tel monstre. Nous t’aiderons à rentrer à Baak’Ayin retrouver ton cher Fillip. Va mon ami. Va et vis ta vie!»
Par ces derniers mots, Kofi libère son compagnon du conflit intérieur qui le déchirait. L’O’pa n’a pas d’autre choix que de lâcher son emprise sur lui et s’éloigner du navire au dessus de l’océan. El Tiburon l’avale en replongeant sans même un mot de plus.
Quelques jours plus tard la Cola, un peu endommagé arrive en vue des côtes de l’Ifri et s’apprête à doubler les feux du port de M’Bey.
[7e Mer] l'Hérésie jaraguane
- Mickey-bis
- Banni
- Messages : 1385
- Inscription : mar. oct. 24, 2017 12:04 pm
- Mickey-bis
- Banni
- Messages : 1385
- Inscription : mar. oct. 24, 2017 12:04 pm
Re: [7e Mer] l'Hérésie jaraguane
La fortune du diable
Acte 1 : Où l’on planifie de nouvelles révolutions
Nous retrouvons nos héros, après une traversée forte en émotion, aux abords des côtes de la Mbey. Ici la jungle est luxuriante, dense, recouverte de brouillard. Au loin, amarrés, de nombreux navires montaginois et de la CCA, tous des négriers … Le port à proximité est celui de Belletée, d’une construction assez récente, mais qui connaît une grosse crise de croissance. Tous les bâteaux doivent mouiller au loin, et le débarquement ne se fait qu’en barque. En face du port, une petite île émerge de l’océan, Sono. Sur ce petit bout de terre, ne se dressent qu’une église et de multiples croix. À proximité, une dizaine de gallions montaginois sont amarrés en double vague, dont la rutilance est à l’inverse de leur efficacité militaire.
Le port de Belletée est constitué de différents quartiers, identifiable depuis la mer. 1 premier, uniquement de constructions et bâtisses en pierre, en cours d’extension. 1 second, jouxtant le port, regroupant divers entrepôts. Plus haut, une place forte émerge (mais qui ne semble pas être pour une utilisation militaire). Autour de ces quartiers, des habitations en bois, denses, et plus on s’éloigne du port, plus les bâtiments sont mixtes, entre petits baraquements de bois et cases traditionnelles, qui lèchent l'orée de la jungle.
Une fois débarqués, notre groupe fait rapidement le point sur ce qu’ils ont besoin de faire ici. Kofi décide tout d’abord de troquer ses vêtements bien trop jaraguaiens contre des tuniques locales, pour se fondre plus facilement dans la foule de marins. Le bâteau est déclaré, de nouveau sous son nom d’emprunt de “L’Arquebuse”, toutes les richesses sont déclarées perdues en mer suite aux avaries subies, et que notre venue concerne les réparations du navire. On nous dirige alors sur les 2 chantiers navals, l’un appartenant à la CCA, l’autre sous le nom de la Maison de l’Écume Royale. Ce dernier nom interpelle Alceste, qui se souvient que son père a investi dans cette entreprise aux côtés de divers nobles et du Roi lui-même.
Une fois les déclarations administratives faites, Kofi entame le tour des capitaines sur le point de partir, pour tenter de trouver un esquif faisant route vers Baak Ah Yin. Il finit, bon an, mal an, par trouver un capitaine faisant partie d’une rotation vers ce port, qui partira prochainement. Reprenant ses pérégrinations dans le port, le capitaine marron finit par tomber sur un marché aux esclaves … Une image qu’il ne pensait pas revoir de sitôt …
Une envie soudaine de mettre le souk s’empare de lui ! Mais il parvient à réfréner ses ardeurs. Il s’enfonce plus dans cette place morbide, et tombe sur la criée, une estrade sur laquelle se déroule les ventes. Ses yeux parcourent les différentes cages, où des esclaves de tous âges, les pieds dans la terre, tentent de survivre à l’entassement et aux mauvais traitements. 1 esclave attire son attention … Le seul blanc. Kofi se rapproche alors de la cage où il est enfermé. C’est Rob McDughail, un petit homme roux, maigre, avec des cicatrices au visage. Le capitaine s’appuie sur un coin de la cage, et regarde en direction de la criée, tout en s’adressant au prisonnier.
Kofi : “Eh bien ! On dirait que tout ne s’est pas passé comme prévu pour toi !”
Le prisonnier, en crachant du sang coagulé : “Pourquoi ? Toi aussi tu veux m’en mettre une ?”
Kofi : “Jamais à un homme en cage !”
Le prisonnier : “Pourquoi alors ? Tu veux m’acheter ?”
Kofi : “Pourquoi t'achèterais-je ? Tu t’es fait des ennemis ?”
Le prisonnier : “Le gouverneur oui. Parole d’Highlander, quand on fait chier, on le dit tout haut ! Mais mes geôliers n’en n’ont pas fini, ils reviendront. Le gouverneur défend bec et ongle que je lui ai volé une cargaison d’or dans le castel, mais … Je ne suis au courant de rien ! Parole de Rob ! L’or .. Et ben … C’est pas moi qui l’ait ! C’est la reine de l’espoir, et faut donc aller la rosser. Pourtant, tout était parfait, au millimètre … Mais v’la qu’un confrère vient te péter la gueule.”
Kofi : “Les faux amis sont des oiseaux de passage. Ils arrivent à la belle saison et repartent à la mauvaise.”
Des gardes aperçoivent alors le capitaine discuter avec le prisonnier. Ils viennent interrompre les discussions : “Ola ! On ne parle pas avec la marchandise ! Si vous le voulez, va falloir mettre la main à la poche. Et pour l’instant, la dernière offre est celle du Duc de Toille !” (à priori, une personnalité importante, l’Highlander lève un sourcil surpris en entendant ce nom).
Kofi inspecte du coin de l'œil la structure de la cage. Soudain, une caravane arrive, et lui passe devant. Des blancs armés de lances et de mousquets entourent des hommes, enchaînés les uns aux autres. Ces nouveaux esclaves sont poussés dans la dernière cage. Le soldat dirigeant la triste procession s’en va dans un bâtiment entre la criée et le port, celui de l’Écume Royal.
Élizbieta, de son côté, tente de trouver des traces de la présence de la société des explorateurs, afin de pouvoir rentrer en contact et demander des informations sur le zahmeir. Elle entend une rumeur, une légende, sur un capitaine qui aurait du zahmeir, et qui l’aurait emmené dans une grotte pour le fondre, et recouvrir une statue ou une idole pour un rituel. On lui indique aussi vaguement un quartier dans lequel elle pourrait tomber sur des membres de la Société des Explorateurs. On lui glisse le nom de Raquel, une cartographe, petite et binoclarde ! Mais Elizbieta est rapidement mise en garde … Nous sommes sur les terres du Bonsam, qui est Légion ! Son informateur se signe en lui donnant ces dernières indications.
Elle s’enfonce alors dans des quartiers de margoulins, où la survie dépend de la taille de votre lame, la force de vos bras, et votre capacité à payer les droits de passage. De grands marrons lui barrent la route, lui crachant au pied : “Du vent ! On ne veut pas de sorcières ici ! Tu sens le Bonsam !”.
Puis, en pointant son œil : “Tu as été marquée ! N’approche pas ! Et passe ailleurs !”
Elizbieta : “Écarte toi ! Je passe où je veux !”
Le gardien : “Éloigne-toi ! Je ne fais que protéger mon quartier !”
Elizbieta , tout en lui lançant un regard noir : “Si j’étais toi … Je m'embêterai pas une sorcière !”
Le gardien, en s’écartant : “On sait que nos enfants disparaissent !”
Elizbieta , leur passant devant : “Je ne suis pas une sorcière … Je suis une chimiste !”
Elizbieta finit par arriver dans une taverne, assez sombre. Elle y repère une femme, plutôt petite, des binocles en piteux état sur le boût du nez, 4 ou 5 verres de rhum vides, et s’exprimant avec un fort accent castillan. Aucun doute permis, c’est Raquel ! Elle engage la discussion, et la castillane lui avoue rapidement être fluide pour les chasseurs d’esclaves, mais qu’elle n’en peut plus. Elizbieta tente d'amener Raquel sur le zahmeir, en glissant qu’il parait qu’en Ifri, ils ont un métal encore plus puissant et résistant que le Drakeneisen.
Soudain, des théans entrent dans la taverne : “Mademoiselle Alvar Gonzales !”
Raquel se retourne doucement, écarquille les yeux et désaoule aussi sec.
Le théan : “On vous attends ! Vous croyez que vous allez encore échapper à vos obligations ? Vous avez intérêt à être en état au petit matin ! Vous savez ce que vous nous devez. Tout est prêt pour demain je suppose ?”
Raquel : “Oui ! Les porteurs sont prêts, tout est commandé, les plans sont établis. Pour les routes qu’il manque, nous trouverons des locaux.”
Le théan : “Je n’ai aucun doute sur ça. Cependant … Je ne veux aucune perte considérable cette fois !”. En regardant Elizbieta, souriante : “Il y a quelque chose qui vous amuse ?”
Elizbieta, lui rétorquant : “Je ne voudrais pas intervenir devant tant de fainéantise ! N’êtes vous pas capable de préparer vous même une expédition ?”
Le théan : “Fainéant ? Moi ? Je travaille pour la compagnie moi, madame !”
Elizbieta: “La compagnie ? Vous me faites rire ! Ce ne sont que des fainéants qui font travailler les autres ! Et je vous conseille de ne pas me provoquer plus que de raison monsieur !”
Le théan : “Sinon quoi ?”
Elizbieta: “Sinon vous tâterez de mon sabre !”
Le théan s’esclaffe, ordonne une dernière fois à Raquel d’être prête à l’aube, et tourne les talons. La castillane s'apprête à partir, mais Elizbieta insiste pour qu’elle reste. Raquel la regarde, et lui dit “Faut plus me faire ça hein ! Je travaille pour eux, moi …”. Avant de partir, elle prend le temps d’expliquer à Elizbieta qu’ils partent en expédition au Geldawr, dans le nord, pour éliminer les dernières poches de résistance. La discussion se poursuit un peu, notamment autour de la compagnie et d’Andonius. Ce dernier a été vu en compagnie de Zaleed, une marchande mandéenne, qui travaille pour la maison de l’Écume Royale. Il a été la voir, et lui a acheté du zahmeir. Mais cela remonte à quelque temps déjà (Andonius et Elizbieta ne se connaissaient pas encore). Il cherchait les plans de la Forge à ce moment-là.
Après ce premier contact, Elizbieta rentre vers le point d’amarrage de la barque. Sur le chemin, elle cherche des informations sur Gormand, notamment si une affiche “Recherché” ne serait pas accrochée sur un quelconque tableau de chasseur de prime. Un préssentiment finit par se confirmer … Elle est suivie.
Pendant qu’Elizbieta et Kofi s’en sont allés de leur côté, Almenara a aidé Alceste à se grimer comme son frère, Vespassien, et se sont tous deux rendus au chantier de l’Écume Royal. À l’intérieur, l'esthétique rococo voit défiler des gens bien habillés, d’autres attendent leur tour, leur séant posé sur de sublimes banquettes. Alceste s’avance jusqu’au comptoir, pour demander des renseignements pour engager des réparations sur le navire.
On lui répond alors : “Il faut voir avec Monsieur le Duc !”
Alceste sort son plus grand jeu d’acteur, et le nom de Vicquemar pour faire avancer les choses et tenter de soutirer plus d’informations à son interlocuteur.
Le réceptionniste lui répond alors : “Le Duc est un homme - certain dirait mais jamais moi - plus cruel que dur. Il sait ce qu’il veut, mais c’est pour le bien de la Maison avant tout ! Son père lui a confié les rênes de la gestion. Ne lui faites jamais remarquer qu’il n’est que le fils du Duc et pas le Duc lui-même !”
La discussion continue, le réceptionniste se nomme Éric, et indique à Alceste quelques informations clés sur l’organisation de la vie mondaine à Belleté. Ici, chacun a ses propres gardes du corps et autres hommes de main. Il n’y a guère de règles régissant le port, si ce n’est celles édictées par la Gouverneur Binchet (dont certains notables sont très proches). Les soirées mondaines ne se déroulent que dans des cadres privés, les notables ne sortant que rarement de leur quartier. Au demeurant, de nombreuses tavernes permettent d’occuper les matelots, corsaires, ouvriers et manants cherchant à survivre dans cet environnement rude. Il n’y a ici aucune université, quelques percepteurs tout au plus, placés dans certaines bonnes familles, quelques savants de passages de temps à autre. Des religieux ont réussi à se faire une place, lié à la seule église de Belletée : l’Eglise des Alliées de la Foi Véritable. Qu'est-ce qui fait vivre le port ? Le commerce et l’eclavage, rien, absolument rien d’autre. Mais il en vit extrêmement bien!
Alceste et Almenara se séparent une fois ressortis du chantier naval de l’Écume Royale. Le montaginois déambule dans les rues, et laisse une marque de sa présence, pour tenter de rentrer en contact avec les Frères d’Uppman. La castillane quant à elle zieute parmi les échoppes, afin de dénicher quelconque trésor pouvant être sujet à larcin, afin d’enrichir les calles de la Cola. D’un point de vue scientifique ou historique, rien n’attire son regard. Au demeurant, la voilà attirée par la vitrine de l’officine “Chez Zaleed”, telle une abeille par une fleur chargée de pollen. C’est un magasin grand et cossu, avec sur les étales des ingrédients de soin de bonne qualité. Elle reste à proximité, suit attentivement les vas et viens, et profite d’un moment dans la journée où peu de gens sont présent pour discrètement subtilisé quelques onguent pour soigner ses compagnons de galères.
A quelques rues de là, Alceste est rattrapé par des porteurs de chaise, envoyés par le Duc. Il est amené jusqu’à la demeure du noblions, située dans le dominion. C’est un quartier situé dans le centre de Belleté, où les bâtisses sont toutes plus impressionnantes et chargées de décorations les unes que les autres. Le montaginois voit beaucoup d’hommes d’arme et de milicien patrouiller dans les rues ou garder les entrées des propriétés. Une fois arrivé au manoir, il est accueilli par un homme, qui l'emmène jusqu’au Duc. Les pièces qu’il traverse sont richement décorées d’une multitude de trophées de chasse. Le personnel de maison croisé est constitué principalement de jeunes femmes. Le Duc est assis, l’air décontracté, des livres posés près de lui, comme s’il était surpris par la présence d’Alceste. Ce dernier découvre alors que le Duc de Toille est métisse. Il lève un œil à l’annonce d’Alceste, le dévisage, se lève de son fauteuil et va aux devants du montaginois, lui serrer vigoureusement la main. Il entame alors la conversion : “Je suis surpris de vous voir arriver avec un navire qui sied aussi peu à l'élégance légendaire de Montaigne.”
Alceste : “Au vu des dangers que nous traversions, j’avais plus besoin d’allure que d’allure.”
Duc : “Je connais l’Arquebuse sous le nom de la Cola, navire fortement recherché par la compagnie pour cause de rébellion, mais aussi qui intéresse aussi … Vespassien de Viquemard, vous savez … Votre demi-frère.”
Alceste est déconfit. Le duc en sait plus qu’il ne devrait …
Duc : “Il se trouve que notre Maison a quelques rivaux … Et vous comprenez ; il serait fort dommage que j’ai à m’impliquer directement. La Gouverneur Binchet vient de faire passer de nouvelles taxes qui, sous couvert de justice, ne touchent que la maison de l’Écume Royale. N’hésitez surtout pas à me ramener quelques informations tangibles contre mes rivaux. Ne vous en faites pas, votre navire est entre de bonnes mains pour gérer ses réparations.”
Dépité, Alceste accepte le marché. Dans le fond, tant qu’ils peuvent mettre des bâtons dans les roues de la CCA, ce n’est pas le capitaine Kofi qui sera contre ! Avant de partir, Alceste aperçoit du coin de l’œil un pistolet particulier. En effet, celui-ci est perclu d’incrustations noires veinées de rouge. Des écritures runiques sont discernables. Innocemment, Alceste demande si l’arme ne pourrait pas compléter la réparation du navire en récompense de la chute du gouverneur et de la perte d’influence de la CCA sur Belleté. Le Duc s’interpose entre le montaginois et le pistolet avec précipitation (l’arme aurait donc bien plus de valeur à ses yeux que beaucoup d’autres reliques).
Duc : “C’est ma plus belle pièce, celle avec laquelle j’ai pu attraper les bêtes les plus impressionnantes de ma collection.” Tout en montrant une tête de monstre accroché au-dessus de l’arme : “Il m’en aura coûté 2 mois d'attelles. Vous savez, il est des choses bien plus précieuses qu’un enfant.”
Nos 4 compères finissent par se retrouver, le soir tombant sur Belleté. L’ambiance change radicalement … Si les rues étaient animées en journée, la nuit arrivant, tout le monde se terre chez lui. Ils croisent alors l’équipage de la Cola, qui prévient que le bâteau a été remorqué au chantier naval ! Et demande par la même occasion au capitaine la permission de profiter des tavernes locales.
Kofi est alors pris d’une vision. Il voit une brume rouge sang craquer comme une coquille d’œuf. Les fissures s’étendent et semblent ramper sur le sol comme des racines. Tout autour de lui se flétrit, devient malsain, dangereux. Cela s’étale par delà les forêts, le continent entier, le monde … Il se réveille alors en sursaut, avec cette étrange impression d’avoir mordu dans un fruit empoisonné.
Alceste est, de son côté, s’aventure dans les rues sombres de Belleté, et arrive à un endroit indiqué par un symbole de lieu sûr, devant la taverne “La Perle d’Ébène”. Il se rend compte qu’il est suivi … Et est étonné de voir que c’est par Marae, la fidèle de Jarod Conor ! Elle est reconnaissable par ses cheveux noirs épais et les multiples cicatrices qui parcourent sa peau. Alceste fait mine de s’enfoncer dans une ruelle, puis se met à courir d’un coup ! Il bifurque soudainement pour tenter de distancer la rahuri, mais se retrouve face à une foule d’ivrognes, et rentre dans l’un d’eux.
Homme rond comme une queue de pelle : “Tu me cherches des emmerdes ? Tu veux bouffer de la soupe pour le reste de tes jours ?”
Alceste parvient à l’esquiver, en passant sous le direct qui aurait pu lui faire des gencives lisses, et reprend sa course. Il a tout juste la présence d’esprit de regarder derrière lui pour apercevoir un tonnelet lancer à son encontre par l’homme vexé de n’avoir touché sa cible. Il esquive ce projectile improvisé en se plaquant contre un mur, mais c’est à ce moment-là qu'un habitant verse par la fenêtre son pot de chambre dûment rempli … Le montaginois titube, et s’enfonce dans une rue perpendiculaire. À quelques mètres de là, 4 hommes sont en train d’en rosser un 5ième. Alceste prend son courage à 2 mains, et fonce dans le tas, espérant créer suffisamment de grabuge pour que le pauvre homme puisse s’enfuir. En percutant les tabasseurs, il dit : “Désolé Messires ! Je pense avoir forcé sur la boisson … Mais ne vous en faîtes pas ! Je m’en vais de ce pas rejoindre mon caniveau !”. Les hommes, dégoûtés par l’odeur s’en vont, sans demander leur reste, leur victime s’étant de toute manière éclipsée. Plus loin c’est des chiens qui se mettent à la poursuite de notre pauvre montaginois, lui mordillant les mollets. Alceste parvient à les distancer non sans mal, et arrive à retrouver son contact à la perle d’Ébène.
Kofi, Elizbieta et Alménara se réveillent de leur côté, s'apercevant avec stupeur qu’une grosse partie de l’équipage n’est jamais revenue …
Acte 1 : Où l’on planifie de nouvelles révolutions
Nous retrouvons nos héros, après une traversée forte en émotion, aux abords des côtes de la Mbey. Ici la jungle est luxuriante, dense, recouverte de brouillard. Au loin, amarrés, de nombreux navires montaginois et de la CCA, tous des négriers … Le port à proximité est celui de Belletée, d’une construction assez récente, mais qui connaît une grosse crise de croissance. Tous les bâteaux doivent mouiller au loin, et le débarquement ne se fait qu’en barque. En face du port, une petite île émerge de l’océan, Sono. Sur ce petit bout de terre, ne se dressent qu’une église et de multiples croix. À proximité, une dizaine de gallions montaginois sont amarrés en double vague, dont la rutilance est à l’inverse de leur efficacité militaire.
Le port de Belletée est constitué de différents quartiers, identifiable depuis la mer. 1 premier, uniquement de constructions et bâtisses en pierre, en cours d’extension. 1 second, jouxtant le port, regroupant divers entrepôts. Plus haut, une place forte émerge (mais qui ne semble pas être pour une utilisation militaire). Autour de ces quartiers, des habitations en bois, denses, et plus on s’éloigne du port, plus les bâtiments sont mixtes, entre petits baraquements de bois et cases traditionnelles, qui lèchent l'orée de la jungle.
Une fois débarqués, notre groupe fait rapidement le point sur ce qu’ils ont besoin de faire ici. Kofi décide tout d’abord de troquer ses vêtements bien trop jaraguaiens contre des tuniques locales, pour se fondre plus facilement dans la foule de marins. Le bâteau est déclaré, de nouveau sous son nom d’emprunt de “L’Arquebuse”, toutes les richesses sont déclarées perdues en mer suite aux avaries subies, et que notre venue concerne les réparations du navire. On nous dirige alors sur les 2 chantiers navals, l’un appartenant à la CCA, l’autre sous le nom de la Maison de l’Écume Royale. Ce dernier nom interpelle Alceste, qui se souvient que son père a investi dans cette entreprise aux côtés de divers nobles et du Roi lui-même.
Une fois les déclarations administratives faites, Kofi entame le tour des capitaines sur le point de partir, pour tenter de trouver un esquif faisant route vers Baak Ah Yin. Il finit, bon an, mal an, par trouver un capitaine faisant partie d’une rotation vers ce port, qui partira prochainement. Reprenant ses pérégrinations dans le port, le capitaine marron finit par tomber sur un marché aux esclaves … Une image qu’il ne pensait pas revoir de sitôt …
Une envie soudaine de mettre le souk s’empare de lui ! Mais il parvient à réfréner ses ardeurs. Il s’enfonce plus dans cette place morbide, et tombe sur la criée, une estrade sur laquelle se déroule les ventes. Ses yeux parcourent les différentes cages, où des esclaves de tous âges, les pieds dans la terre, tentent de survivre à l’entassement et aux mauvais traitements. 1 esclave attire son attention … Le seul blanc. Kofi se rapproche alors de la cage où il est enfermé. C’est Rob McDughail, un petit homme roux, maigre, avec des cicatrices au visage. Le capitaine s’appuie sur un coin de la cage, et regarde en direction de la criée, tout en s’adressant au prisonnier.
Kofi : “Eh bien ! On dirait que tout ne s’est pas passé comme prévu pour toi !”
Le prisonnier, en crachant du sang coagulé : “Pourquoi ? Toi aussi tu veux m’en mettre une ?”
Kofi : “Jamais à un homme en cage !”
Le prisonnier : “Pourquoi alors ? Tu veux m’acheter ?”
Kofi : “Pourquoi t'achèterais-je ? Tu t’es fait des ennemis ?”
Le prisonnier : “Le gouverneur oui. Parole d’Highlander, quand on fait chier, on le dit tout haut ! Mais mes geôliers n’en n’ont pas fini, ils reviendront. Le gouverneur défend bec et ongle que je lui ai volé une cargaison d’or dans le castel, mais … Je ne suis au courant de rien ! Parole de Rob ! L’or .. Et ben … C’est pas moi qui l’ait ! C’est la reine de l’espoir, et faut donc aller la rosser. Pourtant, tout était parfait, au millimètre … Mais v’la qu’un confrère vient te péter la gueule.”
Kofi : “Les faux amis sont des oiseaux de passage. Ils arrivent à la belle saison et repartent à la mauvaise.”
Des gardes aperçoivent alors le capitaine discuter avec le prisonnier. Ils viennent interrompre les discussions : “Ola ! On ne parle pas avec la marchandise ! Si vous le voulez, va falloir mettre la main à la poche. Et pour l’instant, la dernière offre est celle du Duc de Toille !” (à priori, une personnalité importante, l’Highlander lève un sourcil surpris en entendant ce nom).
Kofi inspecte du coin de l'œil la structure de la cage. Soudain, une caravane arrive, et lui passe devant. Des blancs armés de lances et de mousquets entourent des hommes, enchaînés les uns aux autres. Ces nouveaux esclaves sont poussés dans la dernière cage. Le soldat dirigeant la triste procession s’en va dans un bâtiment entre la criée et le port, celui de l’Écume Royal.
Élizbieta, de son côté, tente de trouver des traces de la présence de la société des explorateurs, afin de pouvoir rentrer en contact et demander des informations sur le zahmeir. Elle entend une rumeur, une légende, sur un capitaine qui aurait du zahmeir, et qui l’aurait emmené dans une grotte pour le fondre, et recouvrir une statue ou une idole pour un rituel. On lui indique aussi vaguement un quartier dans lequel elle pourrait tomber sur des membres de la Société des Explorateurs. On lui glisse le nom de Raquel, une cartographe, petite et binoclarde ! Mais Elizbieta est rapidement mise en garde … Nous sommes sur les terres du Bonsam, qui est Légion ! Son informateur se signe en lui donnant ces dernières indications.
Elle s’enfonce alors dans des quartiers de margoulins, où la survie dépend de la taille de votre lame, la force de vos bras, et votre capacité à payer les droits de passage. De grands marrons lui barrent la route, lui crachant au pied : “Du vent ! On ne veut pas de sorcières ici ! Tu sens le Bonsam !”.
Puis, en pointant son œil : “Tu as été marquée ! N’approche pas ! Et passe ailleurs !”
Elizbieta : “Écarte toi ! Je passe où je veux !”
Le gardien : “Éloigne-toi ! Je ne fais que protéger mon quartier !”
Elizbieta , tout en lui lançant un regard noir : “Si j’étais toi … Je m'embêterai pas une sorcière !”
Le gardien, en s’écartant : “On sait que nos enfants disparaissent !”
Elizbieta , leur passant devant : “Je ne suis pas une sorcière … Je suis une chimiste !”
Elizbieta finit par arriver dans une taverne, assez sombre. Elle y repère une femme, plutôt petite, des binocles en piteux état sur le boût du nez, 4 ou 5 verres de rhum vides, et s’exprimant avec un fort accent castillan. Aucun doute permis, c’est Raquel ! Elle engage la discussion, et la castillane lui avoue rapidement être fluide pour les chasseurs d’esclaves, mais qu’elle n’en peut plus. Elizbieta tente d'amener Raquel sur le zahmeir, en glissant qu’il parait qu’en Ifri, ils ont un métal encore plus puissant et résistant que le Drakeneisen.
Soudain, des théans entrent dans la taverne : “Mademoiselle Alvar Gonzales !”
Raquel se retourne doucement, écarquille les yeux et désaoule aussi sec.
Le théan : “On vous attends ! Vous croyez que vous allez encore échapper à vos obligations ? Vous avez intérêt à être en état au petit matin ! Vous savez ce que vous nous devez. Tout est prêt pour demain je suppose ?”
Raquel : “Oui ! Les porteurs sont prêts, tout est commandé, les plans sont établis. Pour les routes qu’il manque, nous trouverons des locaux.”
Le théan : “Je n’ai aucun doute sur ça. Cependant … Je ne veux aucune perte considérable cette fois !”. En regardant Elizbieta, souriante : “Il y a quelque chose qui vous amuse ?”
Elizbieta, lui rétorquant : “Je ne voudrais pas intervenir devant tant de fainéantise ! N’êtes vous pas capable de préparer vous même une expédition ?”
Le théan : “Fainéant ? Moi ? Je travaille pour la compagnie moi, madame !”
Elizbieta: “La compagnie ? Vous me faites rire ! Ce ne sont que des fainéants qui font travailler les autres ! Et je vous conseille de ne pas me provoquer plus que de raison monsieur !”
Le théan : “Sinon quoi ?”
Elizbieta: “Sinon vous tâterez de mon sabre !”
Le théan s’esclaffe, ordonne une dernière fois à Raquel d’être prête à l’aube, et tourne les talons. La castillane s'apprête à partir, mais Elizbieta insiste pour qu’elle reste. Raquel la regarde, et lui dit “Faut plus me faire ça hein ! Je travaille pour eux, moi …”. Avant de partir, elle prend le temps d’expliquer à Elizbieta qu’ils partent en expédition au Geldawr, dans le nord, pour éliminer les dernières poches de résistance. La discussion se poursuit un peu, notamment autour de la compagnie et d’Andonius. Ce dernier a été vu en compagnie de Zaleed, une marchande mandéenne, qui travaille pour la maison de l’Écume Royale. Il a été la voir, et lui a acheté du zahmeir. Mais cela remonte à quelque temps déjà (Andonius et Elizbieta ne se connaissaient pas encore). Il cherchait les plans de la Forge à ce moment-là.
Après ce premier contact, Elizbieta rentre vers le point d’amarrage de la barque. Sur le chemin, elle cherche des informations sur Gormand, notamment si une affiche “Recherché” ne serait pas accrochée sur un quelconque tableau de chasseur de prime. Un préssentiment finit par se confirmer … Elle est suivie.
Pendant qu’Elizbieta et Kofi s’en sont allés de leur côté, Almenara a aidé Alceste à se grimer comme son frère, Vespassien, et se sont tous deux rendus au chantier de l’Écume Royal. À l’intérieur, l'esthétique rococo voit défiler des gens bien habillés, d’autres attendent leur tour, leur séant posé sur de sublimes banquettes. Alceste s’avance jusqu’au comptoir, pour demander des renseignements pour engager des réparations sur le navire.
On lui répond alors : “Il faut voir avec Monsieur le Duc !”
Alceste sort son plus grand jeu d’acteur, et le nom de Vicquemar pour faire avancer les choses et tenter de soutirer plus d’informations à son interlocuteur.
Le réceptionniste lui répond alors : “Le Duc est un homme - certain dirait mais jamais moi - plus cruel que dur. Il sait ce qu’il veut, mais c’est pour le bien de la Maison avant tout ! Son père lui a confié les rênes de la gestion. Ne lui faites jamais remarquer qu’il n’est que le fils du Duc et pas le Duc lui-même !”
La discussion continue, le réceptionniste se nomme Éric, et indique à Alceste quelques informations clés sur l’organisation de la vie mondaine à Belleté. Ici, chacun a ses propres gardes du corps et autres hommes de main. Il n’y a guère de règles régissant le port, si ce n’est celles édictées par la Gouverneur Binchet (dont certains notables sont très proches). Les soirées mondaines ne se déroulent que dans des cadres privés, les notables ne sortant que rarement de leur quartier. Au demeurant, de nombreuses tavernes permettent d’occuper les matelots, corsaires, ouvriers et manants cherchant à survivre dans cet environnement rude. Il n’y a ici aucune université, quelques percepteurs tout au plus, placés dans certaines bonnes familles, quelques savants de passages de temps à autre. Des religieux ont réussi à se faire une place, lié à la seule église de Belletée : l’Eglise des Alliées de la Foi Véritable. Qu'est-ce qui fait vivre le port ? Le commerce et l’eclavage, rien, absolument rien d’autre. Mais il en vit extrêmement bien!
Alceste et Almenara se séparent une fois ressortis du chantier naval de l’Écume Royale. Le montaginois déambule dans les rues, et laisse une marque de sa présence, pour tenter de rentrer en contact avec les Frères d’Uppman. La castillane quant à elle zieute parmi les échoppes, afin de dénicher quelconque trésor pouvant être sujet à larcin, afin d’enrichir les calles de la Cola. D’un point de vue scientifique ou historique, rien n’attire son regard. Au demeurant, la voilà attirée par la vitrine de l’officine “Chez Zaleed”, telle une abeille par une fleur chargée de pollen. C’est un magasin grand et cossu, avec sur les étales des ingrédients de soin de bonne qualité. Elle reste à proximité, suit attentivement les vas et viens, et profite d’un moment dans la journée où peu de gens sont présent pour discrètement subtilisé quelques onguent pour soigner ses compagnons de galères.
A quelques rues de là, Alceste est rattrapé par des porteurs de chaise, envoyés par le Duc. Il est amené jusqu’à la demeure du noblions, située dans le dominion. C’est un quartier situé dans le centre de Belleté, où les bâtisses sont toutes plus impressionnantes et chargées de décorations les unes que les autres. Le montaginois voit beaucoup d’hommes d’arme et de milicien patrouiller dans les rues ou garder les entrées des propriétés. Une fois arrivé au manoir, il est accueilli par un homme, qui l'emmène jusqu’au Duc. Les pièces qu’il traverse sont richement décorées d’une multitude de trophées de chasse. Le personnel de maison croisé est constitué principalement de jeunes femmes. Le Duc est assis, l’air décontracté, des livres posés près de lui, comme s’il était surpris par la présence d’Alceste. Ce dernier découvre alors que le Duc de Toille est métisse. Il lève un œil à l’annonce d’Alceste, le dévisage, se lève de son fauteuil et va aux devants du montaginois, lui serrer vigoureusement la main. Il entame alors la conversion : “Je suis surpris de vous voir arriver avec un navire qui sied aussi peu à l'élégance légendaire de Montaigne.”
Alceste : “Au vu des dangers que nous traversions, j’avais plus besoin d’allure que d’allure.”
Duc : “Je connais l’Arquebuse sous le nom de la Cola, navire fortement recherché par la compagnie pour cause de rébellion, mais aussi qui intéresse aussi … Vespassien de Viquemard, vous savez … Votre demi-frère.”
Alceste est déconfit. Le duc en sait plus qu’il ne devrait …
Duc : “Il se trouve que notre Maison a quelques rivaux … Et vous comprenez ; il serait fort dommage que j’ai à m’impliquer directement. La Gouverneur Binchet vient de faire passer de nouvelles taxes qui, sous couvert de justice, ne touchent que la maison de l’Écume Royale. N’hésitez surtout pas à me ramener quelques informations tangibles contre mes rivaux. Ne vous en faites pas, votre navire est entre de bonnes mains pour gérer ses réparations.”
Dépité, Alceste accepte le marché. Dans le fond, tant qu’ils peuvent mettre des bâtons dans les roues de la CCA, ce n’est pas le capitaine Kofi qui sera contre ! Avant de partir, Alceste aperçoit du coin de l’œil un pistolet particulier. En effet, celui-ci est perclu d’incrustations noires veinées de rouge. Des écritures runiques sont discernables. Innocemment, Alceste demande si l’arme ne pourrait pas compléter la réparation du navire en récompense de la chute du gouverneur et de la perte d’influence de la CCA sur Belleté. Le Duc s’interpose entre le montaginois et le pistolet avec précipitation (l’arme aurait donc bien plus de valeur à ses yeux que beaucoup d’autres reliques).
Duc : “C’est ma plus belle pièce, celle avec laquelle j’ai pu attraper les bêtes les plus impressionnantes de ma collection.” Tout en montrant une tête de monstre accroché au-dessus de l’arme : “Il m’en aura coûté 2 mois d'attelles. Vous savez, il est des choses bien plus précieuses qu’un enfant.”
Nos 4 compères finissent par se retrouver, le soir tombant sur Belleté. L’ambiance change radicalement … Si les rues étaient animées en journée, la nuit arrivant, tout le monde se terre chez lui. Ils croisent alors l’équipage de la Cola, qui prévient que le bâteau a été remorqué au chantier naval ! Et demande par la même occasion au capitaine la permission de profiter des tavernes locales.
Kofi est alors pris d’une vision. Il voit une brume rouge sang craquer comme une coquille d’œuf. Les fissures s’étendent et semblent ramper sur le sol comme des racines. Tout autour de lui se flétrit, devient malsain, dangereux. Cela s’étale par delà les forêts, le continent entier, le monde … Il se réveille alors en sursaut, avec cette étrange impression d’avoir mordu dans un fruit empoisonné.
Alceste est, de son côté, s’aventure dans les rues sombres de Belleté, et arrive à un endroit indiqué par un symbole de lieu sûr, devant la taverne “La Perle d’Ébène”. Il se rend compte qu’il est suivi … Et est étonné de voir que c’est par Marae, la fidèle de Jarod Conor ! Elle est reconnaissable par ses cheveux noirs épais et les multiples cicatrices qui parcourent sa peau. Alceste fait mine de s’enfoncer dans une ruelle, puis se met à courir d’un coup ! Il bifurque soudainement pour tenter de distancer la rahuri, mais se retrouve face à une foule d’ivrognes, et rentre dans l’un d’eux.
Homme rond comme une queue de pelle : “Tu me cherches des emmerdes ? Tu veux bouffer de la soupe pour le reste de tes jours ?”
Alceste parvient à l’esquiver, en passant sous le direct qui aurait pu lui faire des gencives lisses, et reprend sa course. Il a tout juste la présence d’esprit de regarder derrière lui pour apercevoir un tonnelet lancer à son encontre par l’homme vexé de n’avoir touché sa cible. Il esquive ce projectile improvisé en se plaquant contre un mur, mais c’est à ce moment-là qu'un habitant verse par la fenêtre son pot de chambre dûment rempli … Le montaginois titube, et s’enfonce dans une rue perpendiculaire. À quelques mètres de là, 4 hommes sont en train d’en rosser un 5ième. Alceste prend son courage à 2 mains, et fonce dans le tas, espérant créer suffisamment de grabuge pour que le pauvre homme puisse s’enfuir. En percutant les tabasseurs, il dit : “Désolé Messires ! Je pense avoir forcé sur la boisson … Mais ne vous en faîtes pas ! Je m’en vais de ce pas rejoindre mon caniveau !”. Les hommes, dégoûtés par l’odeur s’en vont, sans demander leur reste, leur victime s’étant de toute manière éclipsée. Plus loin c’est des chiens qui se mettent à la poursuite de notre pauvre montaginois, lui mordillant les mollets. Alceste parvient à les distancer non sans mal, et arrive à retrouver son contact à la perle d’Ébène.
Kofi, Elizbieta et Alménara se réveillent de leur côté, s'apercevant avec stupeur qu’une grosse partie de l’équipage n’est jamais revenue …
- Mickey-bis
- Banni
- Messages : 1385
- Inscription : mar. oct. 24, 2017 12:04 pm
Re: [7e Mer] l'Hérésie jaraguane
Acte 2 : La loi des chocs fortuits
Alceste arrive devant la Perle d’Ebène, inspire un grand coup, et pénètre dans l’établissement. L’ambiance y est charmante sans en devenir vulgaire, plusieurs femmes dansant langoureusement devant des clients « attentifs ». Sur une estrade au centre de la salle, une autre danseuse sublime interprète une chanson captivante (ne serait-ce pas elle, la fameuse Perle d’Ebène ?). Peu réceptif aux charmes de ces dames car concentré sur sa mission, Alceste ajuste sa veste et s’avance, à la recherche d’un quelconque signe de ses confrères. Malheureusement, mis à part le fils du d… pardon le Duc de Toile, obnubilé par la danseuse de l’estrade, notre Montaginois ne repère rien… Au contraire de l’une des courtisanes, qui n’entend pas laisser un client sans attention ni verre à la main. N’ayant pas d’autres pistes, Alceste enclenche le mode séduction et entame la conversation, tel un jeune homme niais qu’il feint être, pour avoir plus d’informations. Il apprend ainsi que notre bon François (duc de Toile), entretient une relation avec Amara, la chanteuse fétiche de la Perle d’Ebène, c’est d’ailleurs la seule d’entre elles qu’il honore de son attention. D’ailleurs, tous les autres clients n’osent s’approcher de la belle tant qu’il est dans les parages, le duc ayant pour réputation de ne pas hésiter à employer les poings (les siens ou ceux de sa garde) pour régler ses problèmes.
Toujours concentré sur son objectif de retrouver d’autres membres de son groupe secret favori, il parvient à caser quelques vocables et sous-entendus spécifiques, et à l’impression que Sophie,la courtisane, n’y est pas indifférente. Souhaitant creuser davantage, Alceste poursuit la discussion (au prix de quelques verres pour maintenir son intérêt) et apprend plusieurs autres informations intéressantes, comme l’arrivée d’un émissaire Mbey accompagné de sa garde et d’une cargaison très secrète, ou encore l’existence d’un mystérieux groupe tout de rouge vêtu, les Cœurs Purs, qui sévissent à proximité à coups de ratonnades. Concentré sur son objectif, Alceste ne prend pas compte du temps qui passe et de l’alcoolémie qui grimpe.
Ce qui devait arriver arriva, et notre Montaginois se réveille le lendemain matin avec une bonne migraine dans une chambre modeste mais propre. Quelque peu honteux de sa mésaventure, il tente de s’esquiver discrètement, mais c’est sans compter le garde qui le guettait, et qui le retient poliment mais fermement en lui demandant son dû, à savoir une ardoise digne… et bien d’un Montaginois… Constatant qu’il est en manque de finances, il lui est proposé d’aller enregistrer sur le champ sa dette à la Compagnie moyennant des intérêts supplémentaires (20% pour la CCA et 20% pour la Perle d’Ebène). Soucieux du prix exorbitant que cela représente, mais désirant plus encore ne pas griller sa couverture, Alceste fait une contre-proposition, à savoir se rendre sur l’Arquebuse pour régler sa dette. Haussant les épaules, le garde accepte, et l’accompagne dehors.
Il regrette cependant rapidement sa décision dès qu’il voit le navire : sur cale, sans gouvernail ni grand mât, il est en effet en bien piteux état et ne laisse présager rien de bon quant aux finances de son propriétaire. Fort heureusement, grâce aux nombreuses aventures vécues ensemble, Kofi ne s’étonne plus de rien. Tel le vaillant canard, il ne laisse rien paraître devant l’annonce des occupations fort onéreuses de son camarade même si, sous la surface, les pattes s’agitent frénétiquement. De toute façon, son esprit est occupé par d’autres problèmes autrement plus importants : à son réveil, un silence des plus perturbants s’était abattu sur la Cola ; et pour cause : tout l’équipage, sorti la veille pour profiter de leur soirée bien méritée après des jours de navigation, manquait à l’appel, ce qui n’est pas dans leurs habitudes. Inquiets, nos comparses décident de parcourir pour les retrouver.
Après quelques heures de recherches, ils finissent par les trouver sur la grand'place, entassés dans des cages au niveau de la grande Criée. Kofi s’empresse de s’enquérir de leur situation, et on leur fait comprendre qu’ils ont fait du grabuge la veille :
« Votre équipage, vos problèmes, nous attendons maintenant un dédommagement, ou ils leur en coûtera ! »
- Et il leur en coûtera quoi exactement, répond Kofi, déjà fatigué de sa journée
- C’est 30 sous chacun, avec 10 bons coups de bâton. Sauf lui, là. Lui, on lui prend une main aussi.
Au milieu des protestations, l’un des marins parvient à glisser, l’air désespéré :
"Cap'taine, cap’taine, j'vous jure, c’est des craques tout ça ! Écoutez-les pas, on n’a rien foutu, c’est un sale piège ! Y a une bonne femme là, elle nous a dit qu'si vous aidiez la Sauvageonne, elle nous relâcherait ! J’vous jure sur ma vie, Cap'taine, on veut juste rentrer à bord, c’est tout !"
Avant de reculer sous les coups de ses geôliers.
S’éloignant du tumulte, nos compagnons se rassemblent brièvement à l’abri des regards, le temps d’un échange à voix basse. La conclusion s’impose : si la Sauvageonne cherche à les faire chanter, c’est qu’elle les garde sous étroite surveillance. Il faut retourner le piège contre elle. Une contre-filature bien menée pourrait leur révéler l'identité de son espion, et, avec un peu de chance, les intentions réelles de leur manipulatrice. En quelques gestes discrets, le plan se met en place. Le groupe se disperse, feignant l’indifférence. À l’écart, Almenara, le regard affûté, observe les alentours avec la patience d’une chasseuse. Très vite, un jeune Ifrien attire son attention : posture nonchalante, mais regard trop vif pour être innocent. Elle le suit des yeux — lui la repère, croise son regard, et prend la fuite sans demander son reste.
Aussitôt, la poursuite s’engage. À travers les ruelles étroites, les places animées, et jusqu’à la grande fontaine, Elizbiéta et Almenara s’élancent à sa suite, bousculant marchands et promeneurs. Leur traque effrénée met la ville sens dessus dessous — si bien que la garde ne tarde pas à réagir. Un marchand renversé, une voleuse reconnue, et voilà nos deux aventurières prises pour cibles. Une escouade se met à leur poursuite, soufflant la tempête derrière elles.
Un peu en retrait, Kofi peste après une maudite caisse de pastèques sur laquelle il a trébuché. Mais loin de se décourager, il choisit de tirer parti du chaos. Tandis que ses camarades détournent l’attention, il s’esquive par une venelle et se poste plus loin, prêt à tendre une embuscade.
Au cœur de la tourmente, Elizbiéta se redresse, le regard flamboyant. N’écoutant que son instinct, elle s’arrête net, pivote sur les talons et tire sa lame dans un même mouvement. Dans un éclair d’acier, elle fauche plusieurs gardes d’un geste ample. Le bruissement des tentures déchirées, le sang projeté en gerbes écarlates, tout compose autour d’elle un tableau d’une terrible beauté. Elle fait tournoyer son épée, un sourire de défi aux lèvres, alors que l’ennemi l’encercle. Puis, comme une lionne acculée, elle bondit dans la mêlée.
Le combat est bref mais d’une intensité farouche. Sa lame danse, fluide et implacable. En quelques instants, ses assaillants gisent autour d’elle. Tandis qu’elle essuie le sang de son épée, un étal branlant, emporté par le tumulte, menace de s’effondrer sur un vieil homme et deux enfants. Sans hésiter, elle s’interpose, retient l’armature à bout de bras et sauve les innocents — au prix d’une blessure à l’épaule.
Pendant ce temps, Almenara poursuit le fuyard, déterminée à ne pas le perdre. Elle le rattrape à la lisière d’une artère passante, mais alors qu’elle tend la main pour le saisir, deux gardes l’interceptent, s’interposant entre eux. Elle le voit, impuissante, reculer d’un pas lent, un rictus goguenard aux lèvres — expression vite effacée par la poigne de Kofi, surgissant des ombres pour le bâillonner et le tirer hors de vue.
Rassurée par la manœuvre de son compagnon, Almenara se tourne vers les gardes, leur adressant un sourire enjôleur et quelques mots bien choisis pour dissiper leurs soupçons. Mais sa ruse vole en éclats lorsque le propriétaire détroussé arrive et la désigne du doigt, l’accusant à grands cris de l’avoir délesté de sa marchandise. La Castillane ne se démonte pas : d’un ton indigné, elle clame à la diffamation, dénonçant une accusation mensongère et injurieuse.
Elizbiéta, guidée par les cris, surgit, l’air farouche, et prend la défense de son amie. Son épaule ensanglantée sert de preuve à son récit héroïque : elle n’est qu’une bienfaitrice incomprise, blessée en sauvant des innocents ! Elle exhorte la foule à témoigner.
La tension monte, et voyant que la situation ne bascule pas en leur faveur, Kofi sort discrètement quelques pièces de sa bourse et les jette à une bande de gamins des rues. En un clin d’œil, les enfants se dispersent, semant un joyeux désordre entre les passants et les gardes. La confusion est totale — assez pour que les deux jeunes femmes puissent disparaître.
Hélas, la victoire est amère : depuis l’ombre, Kofi aperçoit les plaintes déposées, les noms inscrits, les descriptions données. À présent, Elizbiéta et Almenara sont recherchées.
Tandis que la foule bruisse encore du tumulte provoqué par ses compagnes, Kofi, resté dans l’ombre, entraîne vivement le jeune espion dans une ruelle déserte. D’un geste sec, il le pousse sous un porche obscur, l’y plaquant avec une précision maîtrisée, le rendant invisible aux regards indiscrets de la rue. Kofi, droit comme un mât, les yeux durs, interroge le garçon d’une voix basse mais sans appel. L’adolescent, d’abord bravache, nie farouchement les avoir suivis. Il n’est qu’un passant, dit-il, un badaud égaré. Mais Kofi n’a guère de temps à perdre. Avec un calme inquiétant, il dégaine sa lame courte et en appuie la pointe entre les côtes du garçon, juste assez pour lui faire sentir le froid du métal. Le regard fixe, la voix tranchante, il lui souffle qu’un faux pas de plus le transformera en passoire.
La menace fait mouche. Le jeune blêmit, déglutit péniblement, et finit par cracher le morceau. Il devait simplement les suivre, observer, rapporter leurs faits et gestes. Rien de plus. Un travail de l’ombre, confié à lui — Pablo, apprenti d’un certain Eustache, un homme lié à la garde.
L’aveu n’émeut guère Kofi, qui resserre l’étau. Qui est cet Eustache, et surtout, pour qui travaille-t-il réellement ? Acculé, Pablo finit par lâcher : la Maison de l’Écume Royale. En revanche, il certifie ne connaitre aucune femme Rahuri, ni de femme surnommée la Sauvageonne.
Dépité, le garçon laisse tomber la tête. Sa mission venait à peine de commencer — une ou deux heures à peine — et il n’a encore rien eu le temps de transmettre. Kofi, silencieux un instant, jauge la situation. Puis, d’un ton calculé, il propose un marché. S’il garde le silence sur cette rencontre, Pablo, en échange, devra lui rapporter toute information utile, et ce, discrètement. L’apprenti hoche la tête, soulagé de n’avoir pas fini la gorge tranchée.
Profitant du chaos ambiant, Almenara n’a pas demandé son reste. La Castillane s’est faufilée entre les ruelles comme une anguille entre les mailles, perdant bientôt toute trace de ses deux compagnons. Haletante, elle tente de retrouver ses repères dans ce labyrinthe citadin quand — une fois de plus — elle heurte quelqu’un de plein fouet. Une fâcheuse habitude, décidément.
Elle recule, prête à lancer une énième excuse, mais se fige net en reconnaissant la silhouette devant elle. Transpirante, le regard sombre et l'attitude raide, Marae, surnommée la Sauvageonne, la toise d’un air exaspéré.
— « Vous êtes pénibles à attraper. » lâche-t-elle, les mâchoires serrées.
— « Parlez pour vous ! Si vous commenciez par nous dire clairement ce que vous attendez, au lieu de nous faire courir après vos messagers et perdre un temps… »
— « Vous parlez trop, également. » tranche Marae, la voix glaciale.
Elle lui tend quelque chose, sans cérémonie. Un objet petit, rond, qu’elle glisse dans sa paume avec une brusquerie agacée.
— « Tenez. Rendez-vous à cet endroit, à la tombée de la nuit. »
Et sans autre explication, elle pivote brusquement, se glisse derrière une carriole chargée de ballots, et disparaît dans la foule comme une ombre qu’on ne retient jamais deux fois.
Encore sous le choc, Almenara baisse les yeux vers sa main. Elle y trouve un petit rond de bois sculpté, semblable à un sous-boc, gravé d’un blason qu’elle ne reconnaît pas — un signe, un code, peut-être une invitation… Dans tous les cas, une énigme qu’il faudra bien vite déchiffrer.
En parlant d’énigmes… Nos trois comparses se retrouvent désormais éparpillés dans une cité inconnue, sans point de ralliement convenu, et pour certains, désormais recherchés.
À défaut de mieux, chacun fait route vers l’endroit qui lui semble le plus évident : Almenara revient au lieu exact où elles se sont séparées, devant l’étal désormais tâché de sang ifrien. N’y trouvant pas ses compagnons, et ne souhaitant pas rester plus de temps que nécessaire, elle remonte leur piste jusqu’à atteindre la grande fontaine, où elle retrouve Elizbiéta, appuyée nonchalamment contre un mur.
Pendant ce temps, Kofi, sans doute inspiré par le ton badin du Montaginois ou tout simplement mû par une curiosité plus terre-à-terre, part à la recherche du fameux établissement de plaisir évoqué par Alceste. La rumeur en disait long sur ses charmes… mais fort peu sur son emplacement. Après plusieurs heures d’errance infructueuse, et l’humeur un peu lasse, il se résigne à regagner le seul endroit familier : le pont du Cola. Là, à sa grande surprise, l’attendent déjà les deux jeunes femmes.
À peine Kofi a-t-il posé le pied sur le pont qu’une voix traînante s’élève de l’écoutille : Alceste, presque rafraîchi malgré sa nuit agitée, refait surface avec l’élégance d’un chat retombant sur ses pattes.
Chacun relate alors ses mésaventures, et tous se penchent sur le mystérieux rond de bois laissé à Almenara. Les hypothèses vont bon train, mais nul ne reconnaît le blason sculpté. Ils décident de faire appel à l’oracle le plus fiable du port : un marin à moitié ivre. Et, miracle des dieux ou hasard bienheureux, l’un d’eux reconnaît aussitôt l’emblème de la taverne de la Chouette qui Picole, établissement bien connu des habitués du fond de bouteille.
La rencontre n’est prévue qu’à la tombée de la nuit, laissant quelques heures à tuer. Alceste souhaiterait profiter de ce laps de temps pour retrouver Sophie ; toutefois, au vu de ses déboires de la veille, il estime qu’une bourse bien garnie serait préférable. Prétextant un vague intérêt pour la culture locale, il disparaît avant que ses compagnons n’aient le temps de protester.
Ses pas le mènent au sein des beaux quartiers, jusqu’à un opéra en construction qui, à en croire les ouvriers, serait financé par nul autre que le fils du Duc — rival affiché de l’influent Señor Lopes, ce dernier ayant de son côté misé sur la grandeur d’une église. Une joute architecturale pour aristocrates en mal de renommée. C’est au pied même de l’édifice qu’Alceste croise le chemin d’une jeune dame à l’accent avalonien, escortée par une gouvernante au regard perçant. Le ton est poli, le charme subtil, et c’est avec adresse qu’il découvre qu’il s’agit de Lady Pickman. Mais la gouvernante, méfiante comme une sentinelle de palais, interrompt la conversation sous un prétexte convenu. Alceste en profite alors pour décliner son identité : fils de Monsieur de Vicqmare, héritier de la Maison de l’Écume — rien que cela. À ces mots, l’attitude de la gouvernante change du tout au tout : elle se montre mielleuse, presque inquiète d’avoir froissé un si noble invité. Elle propose même une rencontre avec le père de la jeune Lady pour réparer l’impair. Celle-ci, malicieuse, adresse un clin d’œil complice avant de s’éloigner en grande dame.
Mais le charme opéré ne fait pas l’unanimité. Un jeune nobliau montaginois, fort de son orgueil et de son épée, surgit avec fracas : Monsieur de Vallon. Il reproche à Alceste son audace d’avoir adressé la parole à Lady Picman et l’invective sans retenue. Alceste, à peine ébranlé, réplique avec hauteur. Le ton monte. Le gant vole. Le duel est lancé. Mais notre Montaginois, fidèle à sa verve plus qu’à sa lame, accepte… à la condition d’être représenté par un champion. De Vallon, piqué au vif, accepte l’arrangement. Le rendez-vous est fixé : derrière le chantier de l’opéra, à la tombée de la nuit. Alceste, quant à lui, élabore déjà un plan. Il pense confier sa cause à Elizbiéta et en profiter pour lever quelques paris. L’honneur lavé, et la bourse regarnie… que demander de plus ?
Inquiète concernant leur prochaine excursion en ville, Almenara décide de se grimer pour éviter de se faire reconnaître. Elle enjoint Elizbiéta de faire de même, mais celle-ci refuse avec la fermeté d’un roc : elle n’a, selon elle, rien à cacher.
Alceste arrive devant la Perle d’Ebène, inspire un grand coup, et pénètre dans l’établissement. L’ambiance y est charmante sans en devenir vulgaire, plusieurs femmes dansant langoureusement devant des clients « attentifs ». Sur une estrade au centre de la salle, une autre danseuse sublime interprète une chanson captivante (ne serait-ce pas elle, la fameuse Perle d’Ebène ?). Peu réceptif aux charmes de ces dames car concentré sur sa mission, Alceste ajuste sa veste et s’avance, à la recherche d’un quelconque signe de ses confrères. Malheureusement, mis à part le fils du d… pardon le Duc de Toile, obnubilé par la danseuse de l’estrade, notre Montaginois ne repère rien… Au contraire de l’une des courtisanes, qui n’entend pas laisser un client sans attention ni verre à la main. N’ayant pas d’autres pistes, Alceste enclenche le mode séduction et entame la conversation, tel un jeune homme niais qu’il feint être, pour avoir plus d’informations. Il apprend ainsi que notre bon François (duc de Toile), entretient une relation avec Amara, la chanteuse fétiche de la Perle d’Ebène, c’est d’ailleurs la seule d’entre elles qu’il honore de son attention. D’ailleurs, tous les autres clients n’osent s’approcher de la belle tant qu’il est dans les parages, le duc ayant pour réputation de ne pas hésiter à employer les poings (les siens ou ceux de sa garde) pour régler ses problèmes.
Toujours concentré sur son objectif de retrouver d’autres membres de son groupe secret favori, il parvient à caser quelques vocables et sous-entendus spécifiques, et à l’impression que Sophie,la courtisane, n’y est pas indifférente. Souhaitant creuser davantage, Alceste poursuit la discussion (au prix de quelques verres pour maintenir son intérêt) et apprend plusieurs autres informations intéressantes, comme l’arrivée d’un émissaire Mbey accompagné de sa garde et d’une cargaison très secrète, ou encore l’existence d’un mystérieux groupe tout de rouge vêtu, les Cœurs Purs, qui sévissent à proximité à coups de ratonnades. Concentré sur son objectif, Alceste ne prend pas compte du temps qui passe et de l’alcoolémie qui grimpe.
Ce qui devait arriver arriva, et notre Montaginois se réveille le lendemain matin avec une bonne migraine dans une chambre modeste mais propre. Quelque peu honteux de sa mésaventure, il tente de s’esquiver discrètement, mais c’est sans compter le garde qui le guettait, et qui le retient poliment mais fermement en lui demandant son dû, à savoir une ardoise digne… et bien d’un Montaginois… Constatant qu’il est en manque de finances, il lui est proposé d’aller enregistrer sur le champ sa dette à la Compagnie moyennant des intérêts supplémentaires (20% pour la CCA et 20% pour la Perle d’Ebène). Soucieux du prix exorbitant que cela représente, mais désirant plus encore ne pas griller sa couverture, Alceste fait une contre-proposition, à savoir se rendre sur l’Arquebuse pour régler sa dette. Haussant les épaules, le garde accepte, et l’accompagne dehors.
Il regrette cependant rapidement sa décision dès qu’il voit le navire : sur cale, sans gouvernail ni grand mât, il est en effet en bien piteux état et ne laisse présager rien de bon quant aux finances de son propriétaire. Fort heureusement, grâce aux nombreuses aventures vécues ensemble, Kofi ne s’étonne plus de rien. Tel le vaillant canard, il ne laisse rien paraître devant l’annonce des occupations fort onéreuses de son camarade même si, sous la surface, les pattes s’agitent frénétiquement. De toute façon, son esprit est occupé par d’autres problèmes autrement plus importants : à son réveil, un silence des plus perturbants s’était abattu sur la Cola ; et pour cause : tout l’équipage, sorti la veille pour profiter de leur soirée bien méritée après des jours de navigation, manquait à l’appel, ce qui n’est pas dans leurs habitudes. Inquiets, nos comparses décident de parcourir pour les retrouver.
Après quelques heures de recherches, ils finissent par les trouver sur la grand'place, entassés dans des cages au niveau de la grande Criée. Kofi s’empresse de s’enquérir de leur situation, et on leur fait comprendre qu’ils ont fait du grabuge la veille :
« Votre équipage, vos problèmes, nous attendons maintenant un dédommagement, ou ils leur en coûtera ! »
- Et il leur en coûtera quoi exactement, répond Kofi, déjà fatigué de sa journée
- C’est 30 sous chacun, avec 10 bons coups de bâton. Sauf lui, là. Lui, on lui prend une main aussi.
Au milieu des protestations, l’un des marins parvient à glisser, l’air désespéré :
"Cap'taine, cap’taine, j'vous jure, c’est des craques tout ça ! Écoutez-les pas, on n’a rien foutu, c’est un sale piège ! Y a une bonne femme là, elle nous a dit qu'si vous aidiez la Sauvageonne, elle nous relâcherait ! J’vous jure sur ma vie, Cap'taine, on veut juste rentrer à bord, c’est tout !"
Avant de reculer sous les coups de ses geôliers.
S’éloignant du tumulte, nos compagnons se rassemblent brièvement à l’abri des regards, le temps d’un échange à voix basse. La conclusion s’impose : si la Sauvageonne cherche à les faire chanter, c’est qu’elle les garde sous étroite surveillance. Il faut retourner le piège contre elle. Une contre-filature bien menée pourrait leur révéler l'identité de son espion, et, avec un peu de chance, les intentions réelles de leur manipulatrice. En quelques gestes discrets, le plan se met en place. Le groupe se disperse, feignant l’indifférence. À l’écart, Almenara, le regard affûté, observe les alentours avec la patience d’une chasseuse. Très vite, un jeune Ifrien attire son attention : posture nonchalante, mais regard trop vif pour être innocent. Elle le suit des yeux — lui la repère, croise son regard, et prend la fuite sans demander son reste.
Aussitôt, la poursuite s’engage. À travers les ruelles étroites, les places animées, et jusqu’à la grande fontaine, Elizbiéta et Almenara s’élancent à sa suite, bousculant marchands et promeneurs. Leur traque effrénée met la ville sens dessus dessous — si bien que la garde ne tarde pas à réagir. Un marchand renversé, une voleuse reconnue, et voilà nos deux aventurières prises pour cibles. Une escouade se met à leur poursuite, soufflant la tempête derrière elles.
Un peu en retrait, Kofi peste après une maudite caisse de pastèques sur laquelle il a trébuché. Mais loin de se décourager, il choisit de tirer parti du chaos. Tandis que ses camarades détournent l’attention, il s’esquive par une venelle et se poste plus loin, prêt à tendre une embuscade.
Au cœur de la tourmente, Elizbiéta se redresse, le regard flamboyant. N’écoutant que son instinct, elle s’arrête net, pivote sur les talons et tire sa lame dans un même mouvement. Dans un éclair d’acier, elle fauche plusieurs gardes d’un geste ample. Le bruissement des tentures déchirées, le sang projeté en gerbes écarlates, tout compose autour d’elle un tableau d’une terrible beauté. Elle fait tournoyer son épée, un sourire de défi aux lèvres, alors que l’ennemi l’encercle. Puis, comme une lionne acculée, elle bondit dans la mêlée.
Le combat est bref mais d’une intensité farouche. Sa lame danse, fluide et implacable. En quelques instants, ses assaillants gisent autour d’elle. Tandis qu’elle essuie le sang de son épée, un étal branlant, emporté par le tumulte, menace de s’effondrer sur un vieil homme et deux enfants. Sans hésiter, elle s’interpose, retient l’armature à bout de bras et sauve les innocents — au prix d’une blessure à l’épaule.
Pendant ce temps, Almenara poursuit le fuyard, déterminée à ne pas le perdre. Elle le rattrape à la lisière d’une artère passante, mais alors qu’elle tend la main pour le saisir, deux gardes l’interceptent, s’interposant entre eux. Elle le voit, impuissante, reculer d’un pas lent, un rictus goguenard aux lèvres — expression vite effacée par la poigne de Kofi, surgissant des ombres pour le bâillonner et le tirer hors de vue.
Rassurée par la manœuvre de son compagnon, Almenara se tourne vers les gardes, leur adressant un sourire enjôleur et quelques mots bien choisis pour dissiper leurs soupçons. Mais sa ruse vole en éclats lorsque le propriétaire détroussé arrive et la désigne du doigt, l’accusant à grands cris de l’avoir délesté de sa marchandise. La Castillane ne se démonte pas : d’un ton indigné, elle clame à la diffamation, dénonçant une accusation mensongère et injurieuse.
Elizbiéta, guidée par les cris, surgit, l’air farouche, et prend la défense de son amie. Son épaule ensanglantée sert de preuve à son récit héroïque : elle n’est qu’une bienfaitrice incomprise, blessée en sauvant des innocents ! Elle exhorte la foule à témoigner.
La tension monte, et voyant que la situation ne bascule pas en leur faveur, Kofi sort discrètement quelques pièces de sa bourse et les jette à une bande de gamins des rues. En un clin d’œil, les enfants se dispersent, semant un joyeux désordre entre les passants et les gardes. La confusion est totale — assez pour que les deux jeunes femmes puissent disparaître.
Hélas, la victoire est amère : depuis l’ombre, Kofi aperçoit les plaintes déposées, les noms inscrits, les descriptions données. À présent, Elizbiéta et Almenara sont recherchées.
Tandis que la foule bruisse encore du tumulte provoqué par ses compagnes, Kofi, resté dans l’ombre, entraîne vivement le jeune espion dans une ruelle déserte. D’un geste sec, il le pousse sous un porche obscur, l’y plaquant avec une précision maîtrisée, le rendant invisible aux regards indiscrets de la rue. Kofi, droit comme un mât, les yeux durs, interroge le garçon d’une voix basse mais sans appel. L’adolescent, d’abord bravache, nie farouchement les avoir suivis. Il n’est qu’un passant, dit-il, un badaud égaré. Mais Kofi n’a guère de temps à perdre. Avec un calme inquiétant, il dégaine sa lame courte et en appuie la pointe entre les côtes du garçon, juste assez pour lui faire sentir le froid du métal. Le regard fixe, la voix tranchante, il lui souffle qu’un faux pas de plus le transformera en passoire.
La menace fait mouche. Le jeune blêmit, déglutit péniblement, et finit par cracher le morceau. Il devait simplement les suivre, observer, rapporter leurs faits et gestes. Rien de plus. Un travail de l’ombre, confié à lui — Pablo, apprenti d’un certain Eustache, un homme lié à la garde.
L’aveu n’émeut guère Kofi, qui resserre l’étau. Qui est cet Eustache, et surtout, pour qui travaille-t-il réellement ? Acculé, Pablo finit par lâcher : la Maison de l’Écume Royale. En revanche, il certifie ne connaitre aucune femme Rahuri, ni de femme surnommée la Sauvageonne.
Dépité, le garçon laisse tomber la tête. Sa mission venait à peine de commencer — une ou deux heures à peine — et il n’a encore rien eu le temps de transmettre. Kofi, silencieux un instant, jauge la situation. Puis, d’un ton calculé, il propose un marché. S’il garde le silence sur cette rencontre, Pablo, en échange, devra lui rapporter toute information utile, et ce, discrètement. L’apprenti hoche la tête, soulagé de n’avoir pas fini la gorge tranchée.
Profitant du chaos ambiant, Almenara n’a pas demandé son reste. La Castillane s’est faufilée entre les ruelles comme une anguille entre les mailles, perdant bientôt toute trace de ses deux compagnons. Haletante, elle tente de retrouver ses repères dans ce labyrinthe citadin quand — une fois de plus — elle heurte quelqu’un de plein fouet. Une fâcheuse habitude, décidément.
Elle recule, prête à lancer une énième excuse, mais se fige net en reconnaissant la silhouette devant elle. Transpirante, le regard sombre et l'attitude raide, Marae, surnommée la Sauvageonne, la toise d’un air exaspéré.
— « Vous êtes pénibles à attraper. » lâche-t-elle, les mâchoires serrées.
— « Parlez pour vous ! Si vous commenciez par nous dire clairement ce que vous attendez, au lieu de nous faire courir après vos messagers et perdre un temps… »
— « Vous parlez trop, également. » tranche Marae, la voix glaciale.
Elle lui tend quelque chose, sans cérémonie. Un objet petit, rond, qu’elle glisse dans sa paume avec une brusquerie agacée.
— « Tenez. Rendez-vous à cet endroit, à la tombée de la nuit. »
Et sans autre explication, elle pivote brusquement, se glisse derrière une carriole chargée de ballots, et disparaît dans la foule comme une ombre qu’on ne retient jamais deux fois.
Encore sous le choc, Almenara baisse les yeux vers sa main. Elle y trouve un petit rond de bois sculpté, semblable à un sous-boc, gravé d’un blason qu’elle ne reconnaît pas — un signe, un code, peut-être une invitation… Dans tous les cas, une énigme qu’il faudra bien vite déchiffrer.
En parlant d’énigmes… Nos trois comparses se retrouvent désormais éparpillés dans une cité inconnue, sans point de ralliement convenu, et pour certains, désormais recherchés.
À défaut de mieux, chacun fait route vers l’endroit qui lui semble le plus évident : Almenara revient au lieu exact où elles se sont séparées, devant l’étal désormais tâché de sang ifrien. N’y trouvant pas ses compagnons, et ne souhaitant pas rester plus de temps que nécessaire, elle remonte leur piste jusqu’à atteindre la grande fontaine, où elle retrouve Elizbiéta, appuyée nonchalamment contre un mur.
Pendant ce temps, Kofi, sans doute inspiré par le ton badin du Montaginois ou tout simplement mû par une curiosité plus terre-à-terre, part à la recherche du fameux établissement de plaisir évoqué par Alceste. La rumeur en disait long sur ses charmes… mais fort peu sur son emplacement. Après plusieurs heures d’errance infructueuse, et l’humeur un peu lasse, il se résigne à regagner le seul endroit familier : le pont du Cola. Là, à sa grande surprise, l’attendent déjà les deux jeunes femmes.
À peine Kofi a-t-il posé le pied sur le pont qu’une voix traînante s’élève de l’écoutille : Alceste, presque rafraîchi malgré sa nuit agitée, refait surface avec l’élégance d’un chat retombant sur ses pattes.
Chacun relate alors ses mésaventures, et tous se penchent sur le mystérieux rond de bois laissé à Almenara. Les hypothèses vont bon train, mais nul ne reconnaît le blason sculpté. Ils décident de faire appel à l’oracle le plus fiable du port : un marin à moitié ivre. Et, miracle des dieux ou hasard bienheureux, l’un d’eux reconnaît aussitôt l’emblème de la taverne de la Chouette qui Picole, établissement bien connu des habitués du fond de bouteille.
La rencontre n’est prévue qu’à la tombée de la nuit, laissant quelques heures à tuer. Alceste souhaiterait profiter de ce laps de temps pour retrouver Sophie ; toutefois, au vu de ses déboires de la veille, il estime qu’une bourse bien garnie serait préférable. Prétextant un vague intérêt pour la culture locale, il disparaît avant que ses compagnons n’aient le temps de protester.
Ses pas le mènent au sein des beaux quartiers, jusqu’à un opéra en construction qui, à en croire les ouvriers, serait financé par nul autre que le fils du Duc — rival affiché de l’influent Señor Lopes, ce dernier ayant de son côté misé sur la grandeur d’une église. Une joute architecturale pour aristocrates en mal de renommée. C’est au pied même de l’édifice qu’Alceste croise le chemin d’une jeune dame à l’accent avalonien, escortée par une gouvernante au regard perçant. Le ton est poli, le charme subtil, et c’est avec adresse qu’il découvre qu’il s’agit de Lady Pickman. Mais la gouvernante, méfiante comme une sentinelle de palais, interrompt la conversation sous un prétexte convenu. Alceste en profite alors pour décliner son identité : fils de Monsieur de Vicqmare, héritier de la Maison de l’Écume — rien que cela. À ces mots, l’attitude de la gouvernante change du tout au tout : elle se montre mielleuse, presque inquiète d’avoir froissé un si noble invité. Elle propose même une rencontre avec le père de la jeune Lady pour réparer l’impair. Celle-ci, malicieuse, adresse un clin d’œil complice avant de s’éloigner en grande dame.
Mais le charme opéré ne fait pas l’unanimité. Un jeune nobliau montaginois, fort de son orgueil et de son épée, surgit avec fracas : Monsieur de Vallon. Il reproche à Alceste son audace d’avoir adressé la parole à Lady Picman et l’invective sans retenue. Alceste, à peine ébranlé, réplique avec hauteur. Le ton monte. Le gant vole. Le duel est lancé. Mais notre Montaginois, fidèle à sa verve plus qu’à sa lame, accepte… à la condition d’être représenté par un champion. De Vallon, piqué au vif, accepte l’arrangement. Le rendez-vous est fixé : derrière le chantier de l’opéra, à la tombée de la nuit. Alceste, quant à lui, élabore déjà un plan. Il pense confier sa cause à Elizbiéta et en profiter pour lever quelques paris. L’honneur lavé, et la bourse regarnie… que demander de plus ?
Inquiète concernant leur prochaine excursion en ville, Almenara décide de se grimer pour éviter de se faire reconnaître. Elle enjoint Elizbiéta de faire de même, mais celle-ci refuse avec la fermeté d’un roc : elle n’a, selon elle, rien à cacher.