Toujours dans le cadre de ce sujet, mais pour sortir de Warhammer 40K...
J'ai réfléchi à un cadre SF pour moi (pour une campagne Traveller, ça se devinera à la lecture, n'ayant jamais débuté faute de joueurs).
1/ des maths de jeux de rôle
Le voyage interstellaire marche donc ainsi
- du point de vue d'un équipage de vaisseau
- le temps de se mettre en bonne position pour partir, c'est une demi-journée (pour me simplifier la vie)
- le vaisseau allume son moteur de saut
- immédiatement, il est à destination ; la translation est instantanée ; pour l'équipage il s'écoule 0 seconde pour le voyage
- le temps de se mettre en bonne position pour atteindre sa destination intra-système, c'est une demi-journée (pour me simplifier la vie)
- du point de vue de ceux qui suivent le voyage du vaisseau
- le temps de se mettre en bonne position pour partir, c'est une demi-journée (pour me simplifier la vie)
- le vaisseau allume son moteur de saut
- pour les observateurs, le vaisseau est en translation pendant une semaine puis il réapparaît à sa destination
- le temps de se mettre en bonne position pour atteindre sa destination intra-système, c'est une demi-journée (pour me simplifier la vie)
Donc, chaque routine de saut (prépa au départ, saut, vol jusqu'à la destination), c'est
- 1 journée pour l'équipage
- 8 jours pour tout le reste de la galaxie
Plus l'équipage fait de sauts, plus il se "décale" par rapport au reste de l'univers. Lui "vieillit moins vite".
Aux alentours du 45ème ou 46ème saut, il a passé 1 mois à voyager tandis que l'univers a avancé d'1 an.
Au bout de 1000 translations, l'équipage a vieilli de 2 ans, le reste de l'univers de 22 ans.
Imaginons que les 2/3 du temps d'un équipage soient passés en voyages et en translation. Le dernier 1/3, c'est du repos, de la maintenance etc.
L'équipage fait environ 245 translations par an. L'univers aura avancé d'environ 5 ans et demi durant cette année.
Si le contrat est de 3 ans, l'équipage fait 735 translations, l'univers prend 16 ans.
Dans le secteur galactique que j'avais développé pour le jeu, j'avais compté que "la tournée" des planètes commercialement viables, c'était 62 translations. Soit à peu près 2 mois pour l'équipage et presque 1 an et demi pour le reste du secteur.
2/ des conséquences
Cela pose plein de questions intéressantes.
pour les équipages et la société
- qu'est ce qu'un contrat de 3 ans lorsque, pour le reste de la galaxie, il en passe 16? c'est un contrat de 3 ou 16 ans en fait?
- si on considère qu'un équipier compte vivre de son boulot, doit on le rémunérer sur 3 ou 16 ans ? Parce que les factures, elles ne cessent pas pendant les translations, elles
- parce que si l'équipier compte faire également, soyons fous, vivre une famille, et qu'il n'a que 3 ans de revenu alors que la partie de son salaire consacré à sa famille est étalée sur 16 ans, ça ne va pas être simple pour la famille
Il m'est alors apparu
crédible (mais pas systématique) que les équipiers dans le transport spatial demandent à être
très bien payés.
C'est probablement le cas pour les équipiers les mieux qualifiés et indispensables à bord.
- parce que ce revenu peut potentiellement devoir servir sur une durée plus longue que leur contrat
- parce qu'il y a aussi l'inconvénient inévitable de "ne pas voir vieillir" ses proches
Il est possible que les contrats, négociés individuellement, incluent des clauses type "perte de suivi des proches" avec des compensations.
Peut être que des compagnies de transport, cyniques, embauchent des gens qui, afin de trouver leur boulot, sont silencieusement contraints de dire qu'ils n'ont aucune attache. D'autres vont peut être s'inventer une famille le temps de l'embauche afin d'exiger une telle clause. Peut être que le métier de recruteur se double aussi de celui de détective pour savoir si tout ça est vrai.
L'employé idéal pour une compagnie de transport, c'est la personne sans attaches et sans biens donc probablement jeune. Elle a peu de regrets et n'a pas de biens à entretenir pendant ses translations.
Les équipages sont sans doute constitués d'équipiers "à peine diplômés" encadrés par quelques vétérans qui ont fait toute leur vie à bord de vaisseau (ils ne sont plus jeunes mais sont restés sans attaches)
Il est aussi probable que le décalage subi par les équipages de vaisseau induise un mode de vie type "un amour dans chaque port".
On peut éventuellement se rapprocher des clichés, plus ou moins romancés, de la vie de marin à l'époque de la marine à voile (parce que les trajets sont encore longs).
Les équipages de vaisseau sont aussi un peu à part. Eux voient la galaxie évoluer sans eux. Ils ont la tête dans le guidon, bossent intensément durant 3 mois, n'ont pas trop le temps de faire attention, n'ont que des bribes de nouvelles et à l'occasion d'une halte sur une station orbitale, et hop ils sont rattrapés par presque 2 ans d'actualités. Ils ont peut être un côté fataliste puisque, effectivement, ils ne peuvent pas réellement suivre ou faire quelque chose.
D'ailleurs, le quartier-maître Tartempion a pu voir sa famille pour son anniversaire. Un an de plus passé à bord! Lors de son anniversaire précédent, son fils de 8 ans lui avait fait un dessin, c'était mignon. Maintenant le fils en a 16 et est cadet dans l'armée, ça fait drôle.
En fait, comme Tartempion est parti à 30 ans et son fils en avait 8. Lors de son premier retour, lui en a 31 et son fils 16. Dans 3 tournées, il revient à 34 ans voir
son fils de 40 ans et
sa petite-fille qui a déjà 14 ans! Que le temps passe vite...
Peut être que les équipages, déjà sélectionnés de préférence sans attaches, vont de toutes façons avoir du mal à créer ces attaches. Entre les haltes très brèves, des "relations longues distances" et le fait que, en faisant sa tournée, on ne rencontre la personne aimée qu'une fois toutes les années et demi (et encore, faut faire une tournée)...
Il n'est pas impossible non plus que les équipiers de l'espace ne nouent finalement des relations qu'avec d'autres équipiers. Parce que ceux là vieillissent au même rythme que eux.
Les dates deviennent relatives pour pas mal de choses.
Si on cueille un fruit qui doit absolument être mangé avant 5 jours sinon on en meurt d'une diarrhée explosive...
- Le fruit est cueilli sur la planète A le jour 1
- Son transport part le même jour
- Il arrive à destination sur la planète B le jour 8
- Il est dans l'assiette de quelqu'un sur B le jour 9
- La personne demande si c'est mangeable sans mourir?
- On lui répond que c'est ok, le fruit est frais, cueilli il y a 3 jours
Ce n'est pas anodin. La datation des choses périssables ou dont l'usage décroit avec le temps ne peut pas être suivi avec la galaxie comme référence.
Soit il y a des horloges indiquant la datation relative de chaque objet qui passe par une translation, soit il y a des convertisseurs si tant est qu'on soit au courant de la translation.
En fait, il ne me semble pas impossible de s'amuser à "feinter le temps" (celui de la galaxie en tous cas) en maintenant au maximum en translation des isotopes utiles mais avec une demi-vie faible. Cela permet de les stocker bien plus longtemps.
3/ tout est loin
L'Empire Terrien, dans mon décor de campagne, c'est une sorte de cigare 35000 année-lumières (AL) dans sa plus grande longueur, et environ 15000 AL de diamètre.
Si un vaisseau "moyen" fait un saut de 10 AL par translation (avec une fourchette de 3 à 20 AL), en partant du centre absolu, il faut 1750 translations pour atteindre son point le plus éloigné. Soit presque 5 ans de voyage pour l'équipage et 38 ans et demi pour la galaxie.
Pour les équipiers
Les distances sont tellement phénoménales que le problème de décalage temporel devient majeur pour l'équipage.
Le vaisseau qui part vers le centre de l'Empire avec l'idée de revenir va effectuer environ 10 ans de voyage. Il y a probablement peu de candidats. Il y aussi probablement de grosses difficultés à maintenir le même équipage pendant 10 ans. Peut être en payant l'équipage de manière tout aussi phénoménale?
C'est sans doute difficile de se projeter en temps que travailleur. On part à 20 ans, on revient à 30. Entretemps, tous ceux qu'on connaît ont pris environ 75 ans, les plus jeunes sont vieux, les autres sont morts.
À part "je sacrifie 10 ans de ma vie mais après je suis millionnaire et je ne bosse plus", je doute qu'il y ait beaucoup de candidats. Et ceux qui sont candidats sont peut-être les plus inquiétants...
Pourtant, il faut bien faire circuler les vaisseaux.
Le vaisseau fait les trajets, pas l'équipage
On ne peut pas raisonnablement espérer faire tenir un équipage ensemble durant 10 ans, confinés les 2/3 de leur temps dans le même vaisseau, avec un mode de vie où ils se précipitent à travers la galaxie en faisant juste des haltes brèves. On peut sans doute créer des équipages d'exception mais pas créer
tout un réseau interstellaire.
Par contre, on peut peut-être faire se succéder des équipages différents.
L'équipe 1 va du système A jusqu'au système B, distant de 1820 AL via 182 translations. L'équipage reste 6 mois à bord.
Arrivée à B, l'équipage 1 est remercié, on lui file ses primes etc... toussa bon courage la bise et faites attention au verglas dans les virages en rentrant
À B, on recrute l'équipe 2 et on l'envoie vers le système C, à 2000 AL.
L'équipe 2 arrive à C. On lui offre un pot de départ, ses primes et du balai.
On recrute l'équipe 3 et zou, c'est parti vers D à 900 AL
et ainsi de suite.
Si on ne peut pas avoir un unique équipage qui mène le vaisseau durant 5 ans pour atteindre le centre de l'Empire en partant du bord, on peut peut-être faire un système de relais.
Il faut alors là un système de RH performant qui anticipe les arrivées et constitue les équipages à l'avance.
Il est probable que, du coup, le trafic interstellaire passe le long de ces points relais et juste jamais dans les systèmes à l'écart.
Cela passe peut-être par tout un réseau de contacts, de chasseurs de tête, où dans certains secteurs, on aura une megacorporation de service RH tandis que dans d'autres on aura une constellation de fournisseurs RH plus ou moins efficaces.
Peut-être que, parfois, le relais coince. À l'arrivée, il n'y a personne pour prendre le relais. Peut-être que le fournisseur RH n'a pas trouvé un équipage complet. Peut-être qu'il a fait faillite donc y a juste personne.
Peut-être que l'équipage qui vient d'arriver va repartir en laissant derrière le vaisseau à quai. En attendant qu'un solution et un nouvel équipage arrive.
L'autre solution est de simplement supprimer l'aspect humain. On case des robots partout.
Mais dans mon cas, si les robots peuvent être de bons substituts, ceux assez complexes pour faire les opérations interstellaires ne sont pas en disponibilité assez élevé pour totalement remplacer les humains.
Il y a des vaisseaux entièrement robotisés. Ce sont des vaisseaux de transport low cost réduits à leur plus simple expression: des moteurs de saut peu puissants, des voiles solaires pour le vol intrasystème, des soutes et l'électronique embarquée pour faire tourner ça. Ils suivent une route préprogrammée et n'en dévient pas. Comme un train automatisé.
Le but est de les faire tourner 24/7 pour transporter un maximum avec un coût minimum.
4/ et les communications dans tous ça?
Si un moteur de saut permet de faire une translation sur des AL de distance, on ne peut pas envoyer de signal de cette manière.
L'information est donc "portée" par les vaisseaux. En arrivant dans un système, le vaisseau communique toutes les informations qu'il porte et qui sont à destination de ce système là. Et il reçoit toutes celles émises par ce système à destination des points suivants sur sa route.
Encore un système de relais, mais postal. C'est le Pony Express galactique.
L'Empire Terrien est donc, fatalement, décentralisé. Si on suppose que le siège du pouvoir est au centre absolu (ce n'est pas le cas dans ma campagne mais c'est pour l'illustration), n'importe quel ordre, consigne, décision, émis va mettre, en gros, entre 15 et 40 ans à arriver.
Et c'est en supposant qu'il existe un réseau de relais d'information continu et actif entre vous et le centre du pouvoir. Le délai est encore rallongé par votre éloignement du Pony Express galactique.
Le Pony Express galactique est aussi, par la force des choses, essentiel pour le voyage interstellaire si on utilise un système de relais d'équipage. La compagnie de transport doit faire connaître à l'avance les arrivées de ses vaisseaux et ses besoins RH. Sinon, aucun équipage de remplacement n'attendra un vaisseau au point B.
Mais la difficulté de faire circuler l'information induit probablement des schémas rigides dont on s'écarte peu, voire jamais. "S'adapter à la situation" et sortir des schémas établis se fait en aveugle, l'information ne pouvant pas arriver plus vite que l'évènement. Il y a probablement une forte réticence à le faire. Il est peut-être préférable de ne
pas anticiper un problème mais en assurant que le système reste fiable pour la suite plutôt que s'adapter à un problème ponctuel mais désorganiser le réseau.
C'est un peu comme un aiguilleur du ciel qui est incapable de contacter les avions qui lui arrivent en aveugle.
Science et savoir
Forcément, les innovations, les nouvelles idées, les découvertes ne peuvent pas aller plus vite que l'information.
Le niveau technologique
potentiel est ainsi contraint par la fréquence des communications. Puis ensuite il faut pouvoir assimiler, transformer en usage pratique, les nouveaux savoirs.
Cela suppose des centres universitaires et industriels capables de travailler ce savoir.
Mais c'est évidemment un cercle vicieux/vertueux. Si vous êtes à l'écart, vous recevez moins fréquemment, et probablement plus partiellement, les nouveaux savoirs. Ce qui sape la justification d'avoir une structure universitaire. Et comme vous n'avez pas d'université, on ne vous envoie pas de nouveau savoir.
Il est ainsi probable que les systèmes avec les meilleurs réseaux universitaires sont sans doute aussi sur les axes de trafic spatial les plus fréquentés.
Chacun doit alors diffuser dans un rayon de 20-40AL les applications technologiques du savoir qu'il a reçu.
Il doit en résulter des disparités majeures en matière de développement, d'un monde à l'autre, d'un secteur à l'autre.
Hors catastrophe, chaque monde doit avoir une technologie "de base". Les simples visites de vaisseaux doivent pouvoir assurer au minimum un niveau industriel/pré-stellaire.
Enfin, c'est sans doute dépendant à la fois de la proximité d'un centre de savoir (pour la diffusion de l'information) et des capacités industrielles propres.
Pour simplifier, une découverte scientifique utile à tout le monde, va mettre, disons, une à deux générations pour être diffusée partout dans l'Empire Terrien.
L'exercice du pouvoir
Si on considère que l'Empire Terrien a décidé qu'un de ses gouverneurs/représentants soit en mesure de faire diffuser une info en, au pire, un mois. Alors, cela veut dire que les vaisseaux courriers transportant l'information vont faire 4 sauts (4 jours pour l'équipage, 32 jours pour le secteur).
Cela indique qu'une autorité de l'Empire Terrien a sans doute politiquement la main dans un rayon de 40 AL (4 sauts à 10AL/saut) et est au courant, en un mois ou moins d'un évènement qui se produit.
Mais en pratique, "l'Empire" c'est sans doute restreint à une bulle autour du centre du pouvoir. Et plus on s'éloigne, plus le temps de diffuser l'information augmente, et plus l'autorité ne peut être exercée que localement.
L'information, l'autorité et les décisions vont ensuite se répandre le long des trajets du Pony Express galactique.
En imaginant que l'Empire Terrien dispose de son propre Pony Express, avec des vaisseaux officiels disposant des meilleurs moteurs de saut, ses instructions de gouvernance se propagent en moyenne à 2,5 AL/jour le long des axes de communications. C'est super lent pour un Empire étendu sur des milliers d'AL.
Le pouvoir ne peut pas être centralisé.
J'imagine le cœur de l'Empire Terrien comme une bulle de 200AL (atteignable en 3 mois avec les meilleurs moteur de saut / 10 jours pour l'équipage) et puis au delà une autorité qui devient distante (comme un souverain européen sur ses comptoirs des Caraïbes) puis symbolique. il est probable que, assez vite, l'appartenance à l'Empire Terrien soit en réalité plus qu'une sorte de vassalité négociée qu'un contrôle direct et réel.
En conclusion?
Tout cela forme une galaxie telle une grande toile d'araignée. Lorsque quelque chose se passe, c'est comme un impact sur la toile. Puis la vibration court le long des fils.
Là où les fils se croisent, ce sont les nœuds de décision, de commerce, de civilisation.
Le décalage temporel entre les équipiers de l'espace et le reste de la galaxie est réel mais reste tolérable lorsqu'il y a peu de translations. À une échelle de secteur, quelques dizaines d'AL, avec en plus la possibilité d'utiliser des vaisseaux robotisés pour les tournées simples, l'impact reste mesuré.
Sur l'échelle galactique, l'impact est structurant. Tout s'organise à cause de ces distances, réellement, astronomiques et à cause du décalage temporel subi.
Aller au siège de l'Empire Terrien, on ne le fait pas pour demander une audience sur un sujet futile. Ce sont des années de voyage et revenir avec une réponse probablement obsolète.
Visiter des lieux distants à l'échelle galactique, c'est un projet de vie, ou un pèlerinage, pas du tourisme.