Mike
Je crois que je te hais toujours autant. Pourtant le temps a passé depuis l’effondrement et j’ai eu d’autres préoccupations. Je dois te dire que quand je les ai vus, avançant d’un pas mal assuré, hagards, les yeux vides de toute vie et quand je t’ai vu, toi, vivant, je n’ai pas pu l’accepter.
J’ai écouté tes mensonges, sans dire un mot, comme quand nous étions mariés. Tu te souviens? Je t’ai rassuré: non, tu ne pouvais pas prévoir que la maladie les emporterait eux aussi...
Je te voulais mort.
Je ne te pardonne rien mais je sais que tu marches avec eux maintenant, les tripes à l’air et je souris quand je te revois en train d’agoniser.
Ne comptes pas sur moi pour te libérer. D’autres le feront peut être. J’ai hésité à sortir mon flingue. Saches que je me suis retenue de te coller une balle dans la tête.
J’étais comme absente. Tu sais, comme lorsque ça chauffait là bas, je te l’ai déjà raconté. Un état second, une quasi transe, un mode d’action dans lequel seule la survie compte et les gestes sont réalisés sans réflexion préalable.
J’ai préféré le couteau.
Aujourd'hui, je serre les dents et j’avance, les yeux morts. Mes yeux bleus, tu sais...
Sale con.
BLUE KENTUCKY GIRL
You left me for the bright lights of the town,
A country boy set out to see the world
Remember when those neon lights shine down
That big old moon shines on your Kentucky girl
I swear I love you by the moon above you
How bright is it shining in your world
Some morning when you wake up all alone
Just come on home to your blue Kentucky girl
Don't wait to bring great riches home to me
I need no diamonds rings or fancy pearls
Just bring yourself you're all I'll ever need
That's good enough for this blue Kentucky girl
I swear I love you by the moon above you
How bright is it shining in your world
Some morning when you wake up all alone
Just come on home to your blue Kentucky girl
Octobre 2010. Une route forestière dans le Kentucky. Les véhicules immobilisés bloquent la route. Certains accidentés, d’autres simplement arrêtés là.
Ce matin, l’ambiance est maussade. Le ciel est aussi bas que notre moral et il pleut. Hier, Emma s’est pété la cheville droite en fuyant les walkers qui nous submergeaient. Cette maudite cheville qui a mis fin à sa carrière d’athlète dans l’autre monde, celui d’avant la merde.
Une fois hors de danger, je lui ai fait un strap, filé de l’oxy retard et 10cc de morphine en sous cut mais malgré ça, elle souffre. la cheville a doublé de volume, c’est moche, j’ai peur que ça soit plus qu’une entorse.
Elle garde les dents serrées et a le teint plus pale que d’habitude, des gouttes de sueur perlent sur son front.
Hier soir, on a réussi à se planquer dans la caisse d’un camion couché sur le côté mais il va falloir bouger.
Depuis qu’on a perdu tous les autres, nous n’avons pas tenu en place. Pas un jour au même endroit. C’est épuisant. Et maintenant qu’elle est blessée, il va falloir trouver un endroit safe. Au moins pour quelques jours.
Du mouvement. Quelqu’un parle fort.
Je fait signe à Emma de ne pas faire de bruit. Une légère caresse du doigt sur ses lèvres, un regard échangé. Ses yeux fiévreux croisent mes yeux éteints. Ils me font toujours craquer. Plutôt crever ici que de la perdre. Elle doit faire partie de l’après. Je m’en fout de moi, c’est elle qui compte.Nous avons tout perdu. Mais nous sommes encore vie. On marche, on mange, on dort et on respire ensemble. Au jour le jour.
Carpe Diem ... ahah.
Je vérifie le gun, le glisse dans mon pantalon, dansle bas de mon dos et je vérifie que le couteau est bien à ma ceinture. Je suis prête à tuer si il le faut. Encore.
Là. À 50 mètres.
À la lisière du bois qui borde la route. Ils sont trois. Pas des morts. Deux femmes et un homme. Pas des guerriers. Ils avancent avec précaution mais pas assez pour être des pros. Et trop bruyants. Ils n’ont pas l’air d’être lourdement armés. Visiblement ils cherchent dans les véhicules abandonnés ce qui pourrait y être récupéré et qui ne l’a pas déjà été. Une qui veille et les 2 autres qui fouinent.
Amis ou ennemis?
Seules on n’ira pas beaucoup plus loin. Sans demander son avis à Emma qui souffre en silence, je décide de m’avancer. Je lui jète un regard. Les yeux hagards elle me fait un signe de la tête: qu’on en finisse. J’entends la voix de Mike dans ma tête: « Qui ne tente rien »… Une vague amère me submerge qui monte de mon bide. Les larmes me viennent mais je me mords les joues. Il disait toujours ça. Il ne le dira plus ce connard. Je me ressaisis. Un frisson parcourt mon corps.
Une fois à environ vingt mètres des trois survivants inconnus, je les interpelle d’une voix forte et qui tente d’être assurée.
J’avance lentement, prête à me jeter derrière une voiture ou au sol :
«Oh! Hey! »
3 visages se tournent vers moi, étonnés, méfiants mais ils ont l’air de vrais gens. Pas comme ceux qu’on a croisés depuis l’effondrement. Au moins ils ne tirent pas.
J’avance, leur montrant bien mes mains.
L’une des femmes, la plus âgée - peut être la soixantaine, me met en joue :
«Stop! Déconne pas, attention… »
Elle parle fort, c’est elle que j’ai entendue tout à l’heure et à son attitude, je pense qu’elle doit savoir se servir d’une arme.
Je lève mes mains plus haut. C’est le moment de savoir me vendre…
«Non, non je déconne jamais face à une arme. Je suis crevée, j’ai froid et je ne veux plus continuer seule. Je peux être utile à un groupe, j’ai servi dans l’US Army Nurse Corps avant de bosser aux urgences de Saint Joseph à Lexington.»
Je ne parle pas d’Emma. Pas encore. On ne sait jamais.
Un grand gaillard baraqué s’avance, les mains bien écartées devant lui, on dirait un vieux routard avec sa veste élimée et sa casquette d’une couleur indéfinissable, ses cheveux longs et gris.
«Woho, on se calme. On est tous de bons américains, bien vivants, et on ne va pas s’entretuer. Baisse ton arme, Sharon. La dame a l’air exténuée. Nous aussi on a besoin de monde pour avancer. Je m’appèle Ryan. Ryan Smith. Avec l’arme, là c’est ma femme,
Sharon et derrière moi, Anna. Et vous, madame? »
«Batsheva Wyatt, m’sieur. Je suis avec une amie, Emma, elle est blessée. Nous avons besoin d’aide. Nous avons été séparées
de notre groupe récemment. »
Je m’arrête, et je reste les bras écartés, pendant que Sharon baisse son arme mais elle la tient toujours à deux mains devant elle, canon vers le sol.
La seconde femme, la quarantaine, cheveux roux frisés, yeux verts, s’approche.
"Je pense qu’elles ont un bon karma, on peut les prendre avec nous, Raymond pourra soigner son amie. »
«Ou est ton amie, Eva? » demande le costaud Ryan.
«Dans le camion, là bas » Je montre l’épave derrière moi, le visage d’Emma grimaçante apparait à l’arrière du camion. Elle fait un petit signe de la main.
A suivre...