Il paraît que les routes te racontent des histoires si tu sais les écouter. La 66 m’a soufflé des vérités que je n’avais pas envie d’entendre. Ici, les paysages sont longs, vides, et ils te montrent à quel point les hommes peuvent être minuscules. J’en reviens avec les mains pleines de cendres et la gorge serrée.
Hans a ouvert son coffre
Avant de partir, Hans a enfin vidé le sien. Ses parents n’étaient pas les saints qu’il imaginait : le père chimiste, au service d’une industrie qui n’a jamais senti le pétrole mais l’argent sale ; les documents chiffés, des bouts d’odeur qui font dire à un vieux contact militaire « ça pue, laisse tomber ». Les fantômes du passé se déplacent encore — ils touchent les vivants, ils coupent la route aux pistes. Hans est plus pâle, plus précis. Ses démons ont un pedigree.
À peine a-t-il fini que Moe nous appelle. Maxwell veut nous voir. La maison du type ressemble à une armoire à morceaux d’hier : draps jetés, vaisselle sale, odeur de poudre et de nostalgie. Maxwell parle en mots qui s’éraillent. Il a serré la main de Gordon — un marché sale pour une illusion propre. En échange de son soutien médiatique, Gordon nous enrôle dans une équipe pour « capturer le Hachoir ». Dirigée par Murphy. Qui a ri le mieux du gag ? Personne.
Gordon veut un coupable en vitrine. Maxwell veut le Hachoir vivant. Nous, on veut pas être les figurants d’une mise en scène.
Au commissariat : chiens de garde et sourires de façade
Le commissariat sent la cire et l’hypocrisie. On retrouve des têtes connues : certains hochements de tête, d’autres regards qui grincent. 2J, qui déambule libre, est une provocation ambulante pour ces vieux messieurs en uniforme. Murphy se montre impeccable en façade — son équipe ? Un cowboy fan de colt, une gueule cassée, un cousin nerveux. Gordon nous impose d’épargner son pit-bull. Nous jurons. Mensonge vrai : on essaiera.
La cible qu’on nous file s’appelle Gabriel Blake — rejeton du boucher de 1931, interné, relâché, catalogue d’excès. Le dossier pue la mise en scène : le sacrifie idéal pour la presse. Ça colle pas pour nous. Murphy le sait, et c’est pour ça qu’il grogne.
Quartier des artistes et l’horrible vérité
On saute dans les rues des artistes : immeubles qui craquent, rêves qui fuient. Murphy entre en mode casse — porte fracassée, nez brisé, menaces. Un des gros bras sort une batterie de voiture, on sent que ça pourrait virer au meurtre gratuit. On calme le jeu. Et c’est Hans, d’un calme qui me surprend, qui fait parler le môme. Il avoue : il a aimé Gabriel. Gabriel l’a charmé, puis il est tombé dans la drogue, la folie, la prédication. Il a quitté le gamin pour s’entourer d’autres âmes plus dérangées. Gabriel n’est pas seulement un débauché : il parle, il persuade, il transforme.
A l’hôtel de passe, pour une fois, Murphy a raison. Scène d’orgie retournée en massacre : les gens se sont entretués, sauvages et stupides. Un survivant planqué dans la chambre froide confirme : Gabriel a pris la route, il trace vers quelque chose de sectaire, loin, dans le désert.
Route 66, tensions et désaccords
On se tape neuf heures de bitume. Deux voitures. Deux clans forcés. À la première pompe, nos « collègues » cherchent à fouiller notre coffre. Presque l’émeute. On s’en sort par habileté et par lassitude : la confiance est morte sur le bord de la route. Ils nous disent implicitement « eux ou nous ». Ils n’ont pas tort ; c’est même peut-être déjà décidé dans des bureaux chauffés.
Le camp méthodiste est un tableau vivant d’espoir retourné. Tente centrale, prêcheur à la langue pendue, regards vides. On glisse sur le côté, on veut pas interrompre. On souffle le nom : Gabriel. Et c’est le carnage. Le prêcheur nous traite de démons ; la foule se met en transe. On abat le poteau central — pas pour les blesser, pour briser la transe. Ça marche : la tente s’écroule, les hommes reprennent leur corps. Le prêcheur, confus, ne comprend plus pourquoi il hurle. Le gamin proche de Gabriel est perdu, mouillé d’une foi qu’il ne mérite pas. On embarque le prêcheur en échange d’un réveil douloureux. Les réponses ? Minces. Gabriel est parti, plus loin.
Vegas — la façade et la pourriture
Vegas brille, mais sous sa peau, c’est la même gangrène. On quadrille les hôtels de passe pendant que Murphy et ses hommes font mine de chasser le luxe. L’hôtel encerclé, la même musique : orgie, manipulation. Le gamin se trimballe au casino d’à côté — son pécule augmente, sa voiture est neuve, il a dix-six heures d’avance. Gabriel joue la fuite et la tentation : il attire, il paie, il part.
On prépare un plan : éteindre les phares, deux grenades, prendre Murphy de court. Ça aurait dû être propre. La vraie vie a décidé d’interrompre le plan.
La route, la voiture en flammes, la mort qui rit
On tombe sur des habits accrochés aux cactus — signe de quelque chose qu’on ignore — puis une voiture en feu à côté de la chaussée. Murphy, étonnamment humain, se précipite. La scène est grotesque et terrible : un père qui voulait échapper à un opossum, une erreur, et la fin. Mère éjectée, une fille morte dans l’habitacle, l’autre expira dans les bras de Murphy pendant que les flammes crépitaient comme une risée. Rien de religieux là-dedans, juste la cruauté d’un hasard.
Personne ne parle. On repart en silence, la bile au fond de la gorge. Vince est absent, ailleurs. 2J est en morceaux. Hans serre le volant comme si le métal pouvait recoudre les âmes.
On frappe — on assume
La logique froide reprend. Les flics font « eux ou nous ». On décide d’anticiper. Je demande à éteindre les phares. Hanz obéit. Deux grenades dans la nuit. L’explosion arrache le silence ; la voiture de Murphy s’envole puis retombe sur notre coffre, miracle d’un plan mal calculé qui nous sauve d’un fossé. Un cousin s’arrache de l’épave en rampant. Il vivra, il parlera. Ou il survivra juste assez pour vendre tout ce que nous avons fait. Je choisis la mesure pratique : je lui casse la nuque. Je ne prends pas de plaisir. Je prends de l’assurance : pas de témoins, pas de chicanes. C’était pour empêcher la vérité devenir une corde pour pendre un copain.
Assis dans le désert après les étincelles et le silence, j’allume une clope. Le calme est froid et net. Je me sens plus léger et mille fois plus lourd. Les principes ? Des chandelles dans un vent d’hiver. On a enterré Tom, Marie, et ce soir on a laissé une trace de feu. Ce n’est pas propre. Ce n’est jamais propre.
Pensées qui ruissellent
Gabriel peut bien écrire que le monde n’est plus le nôtre. Peut-être a-t-il raison : le ciel ne répond pas. Les anges n’ont pas débarqué. Le paradis est déserté. Alors il reste nous : des hommes qui marchent sur des marches qui ne mènent nulle part — Stairway to Never. Je ne suis plus certain d’être un flic. Je ne suis même plus certain d’être un frère. Je suis un outil, affûté par la perte.
Ce que je protège maintenant, c’est maigre : la famille qu’il reste, Milly, Angie, ceux de l’agence. Et la mémoire de Marie, qui brûle comme un regard refusé. Si la justice devient vengeance, alors je l’assume. Si la justice meurt, je deviendrai son assassinat programmé.
Demain, on repart. On piste un gamin avec un coffre plein de billets et un gourou qui fuit vers le sud. On ira au Mexique s’il faut. On cassera des têtes. On ramassera des corps. On garde la route droite tant que nos jambes tiennent. Après, il n’y aura que le désert et les rats.